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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/187

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Pour être bien servi, j’aurois peu de domestiques ; cela a déjà été dit, & cela est bon à redire encore. Un bourgeois tire plus de vrai service de son seul laquais, qu’un Duc des dix Messieurs qui l’entourent. J’ai pensé cent fois qu’ayant à table mon verre à côté de moi, je bois à l’instant qu’il me plaît ; au lieu que, si j’avois un grand couvert, il faudroit que vingt voix répétassent à boire, avant que je pusse étancher ma soif. Tout ce qu’on fait par autrui se fait mal, comme qu’on s’y prenne. Je n’enverrois pas chez les Marchands, j’irois moi-même ; j’irois pour que mes gens ne traitassent pas avec eux avant moi, pour choisir plus surement, & payer moins cherement ; j’irois pour faire un exercice agréable, pour voir un peu ce qui se fait hors de chez moi ; cela récrée, & quelquefois cela instruit : enfin j’irois pour aller, c’est toujours quelque chose : l’ennui commence par la vie trop sédentaire ; quand on va beaucoup, on s’ennuie peu. Ce sont de mauvais interpretes qu’un portier & des laquais ; je ne voudrois point avoir toujours ces gens-là entre moi & le reste du monde, ni marcher toujours avec le fracas d’un carrosse, comme si j’avois peur d’être abordé. Les chevaux d’un homme qui se sert de ses jambes sont toujours prêts ; s’ils sont fatigués ou malades, il le sait avant tout autre ; & il ne craint pas d’être obligé de garder le logis sous ce prétexte, quand son cocher veut se donner du bon tems ; en chemin mille embarras ne le font point sécher d’impatience, ni rester en place au moment qu’il voudroit voler. Enfin, si nul ne nous sert jamais si bien que nous-mêmes, fût-on plus puissant qu’Alexandre & plus riche que Crésus, on ne doit rece-