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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/188

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voir des autres que les services qu’on ne peut tirer de soi.

Je ne voudrois point avoir un palais pour demeure ; car dans ce palais je n’habiterois qu’une chambre ; toute piece commune n’est à personne, & la chambre de chacun de mes gens me seroit aussi étrangère que celle de mon voisin. Les Orientaux, bien que très-voluptueux, sont tous logés & meublés simplement. Ils regardent la vie comme un voyage, & leur maison comme un cabaret. Cette raison prend peu sur nous autres riches, qui nous arrangeons pour vivre toujours, mais j’en aurois une différente qui produiroit le même effet. Il me sembleroit que m’établir avec tant d’appareil dans un lieu, seroit me bannir de tous les autres, & m’emprisonner, pour ainsi dire, dans mon palais. C’est un assez beau palais que le monde ; tout n’est-il pas au riche quand il veut jouir ? Ubi benè, ibi patria ; c’est-là sa devise ; ses lares sont les lieux où l’argent peut tout ; son pays est par-tout où peut passer son coffre-fort, comme Philippe tenoit à lui toute place forte où pouvoit entrer un mulet chargé d’argent. Pourquoi donc s’aller circonscrire par des murs & par des portes comme pour n’en sortir jamais ? Une épidémie, une guerre, une révolte me chasse-t-elle d’un lieu ? je vais dans un autre, & j’y trouve mon hôtel arrivé avant moi. Pourquoi prendre le soin de m’en faire un moi-même, tandis qu’on en bâtit pour moi par tout l’Univers ? Pourquoi, si pressé de vivre, m’apprêter de si loin des jouissances que je puis trouver dès aujourd’hui ? L’on ne sauroit se faire un sort agréable en se mettant sans cesse en contradiction avec soi. C’est ainsi qu’Empédocle reprochoit