Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/196

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entier à chaque heure & à chaque chose. Ma seule forme constante seroit celle-là ; dans chaque situation je rie m’occuperois d’aucune autre, et je prendrois chaque jour en lui-même, comme indépendant de la veille & du lendemain. Comme je serois peuple avec le peuple, je serois campagnard aux champs ; & quand je parlerois d’agriculture, le paysan ne se moqueroit pas de moi. je n’irois pas me bâtir une ville en campagne, & mettre au fond d’une province les Tuileries devant mon appartement. Sur le penchant de quelque agréable colline bien ombragée, j’aurois une petite maison rustique, une maison blanche avec des contrevents verts ; & quoique une couverture de chaume soit en toute saison la meilleure, je préférerois magnifiquement, non la triste ardoise, mais la tuile, parce qu’elle a l’air plus propre & plus gai que le chaume, qu’on ne couvre pas autrement les maisons dans mon pays, & que cela me rappelleroit un peu l’heureux tems de ma jeunesse. J’aurois pour cour une basse-cour, & pour écurie une étable avec des vaches, pour avoir du laitage que j’aime beaucoup. J’aurois un potager pour jardin, & pour parc un joli verger semblable à celui dont il sera parlé ci-après. Les fruits, à la discrétion dès promeneurs, ne seroient ni comptés ni cueillis par mon jardinier ; & mon avare magnificence n’étaleroit point aux yeux des espaliers superbes auxquels à peine on osât toucher. Or, cette petite prodigalité seroit peu coûteuse, parce que j’aurois choisi mon asile dans quelque province éloignée où l’on voit peu d’argent & beaucoup de denrées, & où règnent l’abondance & la pauvreté.