Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/26

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son auteur livre à nos folles disputes, nous sommes assez vains pour vouloir décider ce qu’est ce tout en lui-même, & ce que nous sommes par rapport à lui.

Quand les philosophes seroient en état de découvrir la vérité, qui d’entre eux prendroit intérêt à elle ? Chacun sait bien que son système n’est pas mieux fondé que les autres ; mais il le soutient parce qu’il est à lui. Il n’y en a pas un seul qui, venant à connoître le vrai & le faux, ne préférât le mensonge qu’il a trouvé à la vérité découverte par un autre. Où est le philosophe qui, pour sa gloire, ne tromperoit pas volontiers le genre humain ? Où est celui qui, dans le secret de son cœur, se propose un autre objet que de se distinguer ? Pourvu qu’il s’élève au-dessus du vulgaire, pourvu qu’il efface l’éclat de ses concurrents, que demande-t-il de plus ? L’essentiel est de penser autrement que les autres. Chez les croyants il est athée, chez les athées il seroit croyant.

Le premier fruit que je tirai de ces réflexions fut d’apprendre à borner mes recherches à ce qui m’intéressoit immédiatement, à me reposer dans une profonde ignorance sur tout le reste, & à ne m’inquiéter, jusqu’au doute, que des choses qu’il m’importoit de savoir.

Je compris encore que, loin de me délivrer de mes doutes inutiles, les philosophes ne feroient que multiplier ceux qui me tourmentoient & n’en résoudroient aucun. je pris donc un autre guide & je me dis : Consultons la lumière intérieure, elle m’égarera moins qu’ils ne m’égarent, ou, du moins, mon erreur sera la mienne, et je me dépraverai