Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/27

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moins en suivant mes propres illusions qu’en me livrant à leurs mensonges.

Alors en repassant dans mon esprit les diverses opinions qui m’avoient tour-à-tour entraîné depuis ma naissance, je vis que, bien qu’aucune d’elles ne fût assez évidente pour produire immédiatement la conviction, elles avoient divers degrés de vraisemblance, & que l’assentiment intérieur s’y prêtoit ou s’y refusoit à différentes mesures. Sur cette première observation, comparant entre elles toutes ces différentes idées dans le silence des préjugés, je trouvai que la première & la plus commune étoit aussi la plus simple & la plus raisonnable, & qu’il ne lui manquait, pour réunir tous les suffrages, que d’avoir été proposée la dernière. Imaginez tous vos philosophes anciens & modernes ayant d’abord épuisé leurs bizarres systèmes de force, de chances, de fatalité, de nécessité, d’atomes, de monde animé, de matière vivante, de matérialisme de toute espèce, & après eux tous, l’illustre Clarke éclairant le monde, annonçant enfin l’Etre des êtres & le dispensateur des choses : avec quelle universelle admiration, avec quel applaudissement unanime n’eût point été reçu ce nouveau système, si grand, si consolant, si sublime, si propre à élever l’âme, à donner une base à la vertu, & en même tems si frappant, si lumineux, si simple, &, ce me semble, offrant moins de choses incompréhensibles à l’esprit humain qu’il n’en trouve d’absurdes en tout autre système ! Je me disois : Les objections insolubles sont communes à tous, parce que l’esprit de l’homme est trop borné pour les résoudre ; elles ne prouvent donc