Aller au contenu

Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/273

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noître ; il faut en avoir senti les douceurs dès l’enfance. Ce n’est que dans la maison paternelle qu’on prend du goût pour sa propre maison, & toute femme que sa mere n’a point élevée n’aimera point élever ses enfans. Malheureusement il n’y a plus d’éducation privée dans les grandes Villes. La société y est si générale & si mêlée qu’il ne reste plus d’asile pour la retraite, & qu’on est en public jusques chez soi. À force de vivre avec tout le monde on n’a plus de famille, à peine connoît-on ses parens : on les voit en étrangers, & la simplicité des mœurs domestiques s’éteint avec la douce familiarité qui en faisoit le charme. C’est ainsi qu’on suce avec le lait le goût des plaisirs du siecle & des maximes qu’on y voit régner.

On impose aux filles une gêne apparente pour trouver des dupes qui les épousent sur leur maintien. Mais étudiez un moment ces jeunes personnes ; sous un air contraint elles déguisent mal la convoitise qui les dévore, & déjà on lit dans leurs yeux l’ardent desir d’imiter leurs meres. Ce qu’elles convoitent n’est pas un mari, mais la licence du mariage. Qu’a-t-on besoin d’un mari avec tant de ressources pour s’en passer ? Mais on a besoin d’un mari pour couvrir ces ressources. [1]. La modestie est sur leur visage, & le libertinage est au fond de leur cœur ; cette feinte modestie elle-même en est un signe. Elles ne l’affectent que pour pouvoir s’en

  1. (11) La voie de l’homme dans sa jeunesse étoit une des quatre choses que le Sage ne pouvoit comprendre ; la cinquieme étoit l’impudence de la femme adultere. quæ comedit, & tergens os suum dicit ; non sum operata malum. Prov. XXX. 20.