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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/277

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que leurs jugemens me soient indifférens ? Non, leurs suffrages me sont plus chers que les vôtres, Lecteurs souvent plus femmes qu’elles. En méprisant leurs mœurs, je veux encore honorer leur justice : peu m’importe qu’elles me haïssent, si je les force à m’estimer.

Que de grandes choses on feroit avec ce ressort, si l’on savoit le mettre en œuvre ! Malheur au siecle où les femmes perdent leur ascendant, & où leurs jugemens ne font plus rien aux hommes ! C’est le dernier degré de la dépravation. Tous les peuples qui ont eu des mœurs ont respecté les femmes. Voyez Sparte, voyez les Germains, voyez Rome ; Rome le siége de la gloire & de la vertu, si jamais elles en eurent un sur la terre. C’est-là que les femmes honoroient les exploits des grands Généraux, qu’elles pleuroient publiquement les peres de la patrie, que leurs vœux ou leurs deuils étoient consacrés comme le plus solemnel jugement de la République. Toutes les grandes révolutions y vinrent des femmes ; par une femme Rome acquit la liberté, par une femme les Plébéiens obtinrent le Consulat, par une femme finit la tyrannie des Décemvirs, par les femmes Rome assiégée fut sauvée des mains d’un Proscrit. Galans François, qu’eussiez-vous dit en voyant passer cette procession, si ridicule à vos yeux moqueurs ? Vous l’eussiez accompagnée de vos huées. Que nous voyons d’un œil différent les mêmes objets ! & peut-être avons-nous tous raison. Formez ce cortege de belles Dames Françoises ; je n’en connois point de plus indécent : mais composez-le de Romaines, vous aurez, tous, les yeux des Volsques, & le cœur de Coriolan.