Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/278

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Je dirai davantage, & je soutiens que la vertu n’est pas moins favorable à l’amour qu’aux autres droits de la nature, & que l’autorité des maîtresses n’y gagne pas moins que celle des femmes & des mères. Il n’y a point de véritable amour sans enthousiasme, & point d’enthousiasme sans un objet de perfection réel ou chimérique, mais toujours existant dans l’imagination. De quoi s’enflammeront des amants pour qui cette perfection n’est plus rien, & qui ne voient dans ce qu’ils aiment que l’objet du plaisir des sens ? Non, ce n’est pas ainsi que l’âme s’échauffe et se livre à ces transports sublime qui font le délire des amants & le charme de leur passion. Tout n’est qu’illusion dans l’amour, je l’avoue ; mais ce qui est réel, ce sont les sentiments dont il nous anime pour le vrai beau qu’il nous fait aimer. Ce beau n’est point dans l’objet qu’on aime, il est l’ouvrage de nos erreurs. Eh ! qu’importe ? En sacrifie-t-on moins tous ses sentiments bas à ce modèle imaginaire ? En pénètre-t-on moins son cœur des vertus qu’on prête à ce qu’il chérit ? S’en détache-t-on moins de la bassesse du moi humain ? Où est le véritable amant qui n’est pas prêt à immoler sa vie à sa maîtresse ? & où est la passion sensuelle & grossière dans un homme qui veut mourir ? Nous nous moquons des paladins ? c’est qu’ils connoissoient l’amour, & que nous ne connaissons plus que la débauche. Quand ces maximes romanesques commencèrent à devenir ridicules, ce changement fut moins l’ouvrage de la raison que celui des mauvaises mœurs.

Dans quelque siècle que ce soit, les relations naturelles ne changent point, la convenance ou disconvenance qui en