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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/29

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étant continuellement affecté de sensations, ou immédiatement, ou par la mémoire, comment puis-je savoir si le sentiment du moi est quelque chose hors de ces mêmes sensations, & s’il peut être indépendant d’elles ?

Mes sensations se passent en moi, puisqu’elles me font sentir mon existence ; mais leur cause m’est étrangere, puisqu’elles m’affectent malgré que j’en aye, & qu’il ne dépend de moi ni de les produire, ni de les anéantir. Je conçois donc clairement que ma sensation qui est moi, & sa cause ou son objet qui est hors de moi, ne sont pas la même chose.

Ainsi, non-seulement j’existe, mais il existe d’autres êtres, savoir les objets de mes sensations ; & quand ces objets ne seroient que des idées, toujours est-il vrai que ces idées ne sont pas moi.

Or, tout ce que je sens hors de moi & qui agit sur mes sens, je l’appelle matiere ; & toutes les portions de matiere que je conçois réunies en êtres individuels, je les appelle des corps. Ainsi toutes les disputes des idéalistes & des matérialistes ne signifient rien pour moi : leurs distinctions sur l’apparence & la réalité des corps sont des chimeres.

Me voilà déjà tout aussi sûr de l’existence de l’Univers que de la mienne. Ensuite je réfléchis sur les objets de mes sensations ; & trouvant en moi la faculté de les comparer, je me sens doué d’une force active que je ne savois pas avoir auparavant.

Appercevoir c’est sentir, comparer c’est juger : juger & sentir ne sont pas la même chose. Par la sensation les