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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/295

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“ Sophie, vous voilà grande fille, & ce n’est pas pour l’être toujours qu’on le devient. Nous voulons que vous soyez heureuse ; c’est pour nous que nous le voulons, parce que notre bonheur dépend du vôtre. Le bonheur d’une honnête fille est de faire celui d’un honnête homme ; il faut donc penser à vous marier ; il y faut penser de bonne heure, car du mariage dépend le sort de la vie, & l’on n’a jamais trop de tems pour y penser.

” Rien n’est plus difficile que le choix d’un bon mari, si ce n’est peut-être celui d’une bonne femme. Sophie, vous serez cette femme rare, vous serez la gloire de notre vie & le bonheur de nos vieux jours : mais de quelque mérite que vous soyez pourvue, la terre ne manque pas d’hommes qui en ont encore plus que vous. Il n’y en a pas un qui ne dût s’honorer de vous obtenir, il y en a beaucoup qui vous honoreroient davantage. Dans ce nombre, il s’agit d’en trouver un qui vous convienne, de le connoître & de vous faire connoître de lui.

” Le plus grand bonheur du mariage dépend de tant de convenances, que c’est une folie de les vouloir toutes rassembler. Il faut d’abord s’assurer des plus importantes ; quand les autres s’y trouvent, on s’en prévaut ; quand elles manquent, on s’en passe. Le bonheur parfait n’est pas sur la terre ; mais le plus grand des malheurs & celui qu’on peut toujours éviter, est d’être malheureux par sa faute.

” Il y a des convenances naturelles, il y en a d’institution, il y en a qui ne tiennent qu’à l’opinion seule. Les