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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/307

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sa chimere par la persécution qu’elle lui fait souffrir, marchant à pas lents vers la mort, & descendant dans la tombe au moment qu’on croit l’entraîner à l’autel ? Non, j’écarte ces objets funestes. Je n’ai pas besoin d’aller si loin pour montrer par un exemple assez frappant, ce me semble, que, malgré les préjugés qui naissent des mœurs du siecle, l’enthousiasme de l’honnête & du beau n’est pas plus étranger aux femmes qu’aux hommes, & qu’il n’y a rien que, sous la direction de la nature, on ne puisse obtenir d’elles comme de nous.

On m’arrête ici pour me demander si c’est la nature qui nous prescrit de prendre tant de peine pour réprimer des desirs immodérés ? Je réponds que non, mais qu’aussi ce n’est point la nature qui nous donne tant de desirs immodérés. Or, tout ce qui n’est pas elle est contre elle ; j’ai prouvé cela mille fois.

Rendons à notre Émile sa Sophie : ressuscitons cette aimable fille pour lui donner une imagination moins vive & un destin plus heureux. Je voulois peindre une femme ordinaire, & à force de lui élever l’ame j’ai troublé sa raison ; je me suis égaré moi-même. Revenons sur nos pas. Sophie n’a qu’un bon naturel dans une ame commune ; tout ce qu’elle a de plus que les autres, est l’effet de son éducation.


Je me suis proposé dans ce Livre de dire tout ce qui se pouvoit faire, laissant à chacun le choix de ce qui est à sa portée dans ce que je puis avoir dit de bien. J’avois pensé dès le commencement à former de loin la compagne d’Émile, & à les élever l’un pour l’autre & l’un avec l’autre. Mais en