Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/385

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te sera laissé. La crainte de tout perdre t’empêchera de rien posséder ; pour n’avoir voulu suivre que tes passions, jamais tune les pourras satisfaire. Tu chercheras toujours le repos, il fuira toujours devant toi, tu seras misérable, & tu deviendras méchant. & comment pourrois ne pas l’être, n’ayant de loi que tes désirs effrénés ! Si tu ne peux supporter des privations involontaires, comment t’en imposeras-tu volontairement ? comment sauras-tu sacrifier le penchant au devoir & résister à ton cœur pour écouter ta raison ? Toi qui ne veux déjà plus voir celui qui t’apprendra la mort de ta maîtresse, comment verrois celui qui voudroit tel ôter vivante, celui qui t’oseroit dire : Elle est morte pour toi, la vertu te sépare d’elle ? S’il faut vivre avec elle quoi qu’il arrive, que Sophie soit mariée ou non, que tu sois libre ou ne le sois pas, qu’elle t’aime ou te haÏsse, qu’on te l’accorde ou qu’on te la refuse, n’importe, tu la veux, il la faut posséder à quelque prix que ce soit. Apprends-moi donc à quel crime s’arrête celui qui n’a de lois que les vœux de son cœur, & ne sait résister à rien de ce qu’il désire."

"Mon enfant, il n’y a point de bonheur sans courage, ni de vertu sans combat. Le mot de vertu vient de force ; la force est la base de toute vertu. La vertu n’appartient qu’à un être faible par sa nature, & fort par sa volonté ; c est en cela seul que consiste le mérite de l’homme juste ; & quoique nous appelions Dieu bon, nous ne l’appelons pas vertueux, parce qu’il n’a pas besoin d’efforts pour bien faire. Pour t’expliquer ce mot si profané, j’ai attendu que