Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/493

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premiers nœuds de sou cœur, si la mere de mon fils à pu violer la foi conjugale encore entiere, si les feux d’un amour que rien n’avoit offensé, si le noble orgueil d’une vertu que rien n’avoit altérée n’ont pu prévenir sa premiere faute, qu’est-ce qui préviendroit des rechutes qui ne coûtent plus rien ? Le premier pas vers le vice est le seul pénible ; on poursuit sans même y songer. Elle n’a plus ni amour, ni vertu, ni estime à ménager ; elle n’a plus rien à perdre en m’offensant, pas même le regret de m’offenser. Elle connoit mon cœur, elle m’rendu tout aussi malheureux que je puis l’être ; il ne lui en coûtera plus rien d’achever.

Non, je connnois le sien ; jamais Sophie n’aimera un homme à qui elle ait donné droit de la mépriser.... Elle ne m’aime plus.... l’ingrate ne l’a-t-elle pas dit elle-même ? Elle n m’aime plus, la perfide ! Ah ! c’est-là son plus grand crime : j’aurois pu tout pardonner, hors celui-là.

Hélas ! reprenois- je avec amertume, je parle toujours de pardonner, sans songer que souvent l’offensé pardonne, mais que l’offenseur ne pardonne jamais. Sans doute elle me veut tout le mal qu’elle m’sait. Ah ! combien elle doit me haÏr !

Emile, que tu t’abuses quand tu juges de l’avenir sur le passé ! Tout est changé. Vainement tu vivrois encore avec elle ; les jours heureux qu’elle t’a donnés ne reviendront plus. Tu ne retrouverois plus ta Sophie, & Sophie ne te retrouveroit plus. Les situations dépendent des affections qu’on y porte : quand les cœurs changent tout change ; tout à beau demeurer le même, quand on n’a plus les