Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/494

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mêmes yeux on ne voit plus rien comme auparavant.

Ses mœurs ne sont point désespérées, je le sais bien : elle peut être encore digne d’estime, mériter toute ma tendresse ; elle peut me rendre son cœur, mais elle ne peut n’avoir point failli, ni perdre & m’ôter le souvenir de sa saute. La fidélité, la vertu, l’amour, tout peut revenir, hors la confiance, & sans la confiance il n’y à plus que dégoût, tristesse, ennui dans le mariage ; le délicieux charmé de l’innocence est évanoui. C’en est sait, c’en est fait, ni prés, ni loin, Sophie ne peut plus être heureuse, & je ne puis être heureux que de son bonheur. Cela seul me décide ; j’aime mieux souffrir loin d’elle crue par elle : j’aime mieux la regretter que la tourmenter..

Oui, tous nos liens sont rompus, ils le sont par elle. En violant ses engagemens elle m’affranchit des miens. Elle ne m’est plus rien, ne l’a-t-elle pas dit encore ? Elle n’est plus ma femme : la reverrois-je comme étrangere ? Non, je ne la réverrai jamais. Je suis libre ; au moins je dois l’être : que mon cœur ne l’est-il autant que ma soi !

Mais quoi ! mon affront restera-t-il. impuni ? Si l’infidelle en aime un autre, quel mal lui fais-je en la délivrant de moi ? C’est moi que je punis & non pas elle : je remplis ses vœux à mes dépens. Est-ce là le ressentiment de l’honneur outragé ? Ou est la justice, où est la vengeance ?

Eh ! malheureux, de qui veux-tu te venger ? De celle que ton plus grand désespoir est de ne pouvoir plus rendre heureuse : Du moins ne sois pas la victime de ta vengeance. Fais-lui, s’il se peut, quelque mal que tu ne sentes pas. Il est des