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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/53

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mon ame, je ne te reprocherai jamais de l’avoir faite à ton image, afin que je pusse être libre, bon & heureux comme toi.

C’est l’abus de nos facultés qui nous rend malheureux & méchans. Nos chagrins, nos soucis, nos peines, nous viennent de nous. Le mal moral est incontestablement notre ouvrage, & le mal physique ne seroit rien sans nos vices qui nous l’ont rendu sensible. N’est-ce pas pour nous conserver que la Nature nous fait sentir nos besoins ? La douleur du corps n’est-elle pas un signe que la machine se dérange, & un avertissement d’y pourvoir ? La mort… les méchans n’empoisonnent-ils pas leur vie & la nôtre ? Qui est-ce qui voudroit toujours vivre ? La mort est le remede aux maux que vous vous faites ; la Nature a voulu que vous ne souffrissiez pas toujours. Combien l’homme vivant dans la simplicité primitive est sujet à peu de maux ! Il vit presque sans maladies ainsi que sans passions, & ne prévoit ni ne sent la mort ; quand il la sent, ses miseres la lui rendent desirable : dès-lors elle n’est plus un mal pour lui. Si nous nous contentions d’être ce que nous sommes, nous n’aurions point à déplorer notre sort ; mais pour chercher un bien-être imaginaire nous nous donnons mille maux réels. Qui ne sait pas supporter un peu de souffrance doit s’attendre à beaucoup souffrir. Quand on a gâté sa constitution par une vie déréglée, on la veut rétablir par des remedes ; au mal qu’on sent on ajoute celui qu’on craint ; la prévoyance de la mort la rend horrible & l’accélere ; plus on la veut fuir, plus on la sent ; & l’on meurt de frayeur durant toute sa vie, en murmurant contre la Nature, des maux qu’on s’est faits en l’offensant.