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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/54

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Homme, ne cherche plus l’auteur du mal ; cet auteur c’est toi-même. Il n’existe point d’autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres, & l’un & l’autre te vient de toi. Le mal général ne peut être que dans le désordre, & je vois dans le systême du monde un ordre lui ne se dément point. Le mal particulier n’est que dans le sentiment de l’être qui souffre ; & ce sentiment, l’homme ne l’a pas reçu de la Nature, il se l’est donné. La douleur a peu de prise sur quiconque, ayant peu réfléchi, n’a ni souvenir, ni prévoyance. Ôtez nos funestes progrès, ôtez nos erreurs & nos vices, ôtez l’ouvrage de l’homme, & tout est bien.

Où tout est bien, rien n’est injuste. La justice est inséparable de la bonté. Or la bonté est l’effet nécessaire d’une puissance sans borne & de l’amour de soi, essentiel à tout être qui le sent. Celui qui peut tout, étend, pour ainsi dire, son existence avec celle des êtres. Produire & conserver sont l’acte perpétuel de la puissance, elle n’agit point sur ce qui n’est pas ; Dieu n’est pas le Dieu des morts, il ne pourroit être destructeur & méchant sans se nuire. Celui qui peut tout ne peut vouloir que ce qui est bien [1]. Donc l’Être souverainement bon, parce qu’il est souverainement puissant, doit être aussi souverainement juste, autrement il se contrediroit lui-même ; car l’amour de l’ordre qui le produit s’appelle bonté, & l’amour de l’ordre qui le conserve s’appelle justice.

  1. (30) Quand les Anciens appelloient Optimus Maximus, le Dieu suprême, ils disoient, très-vrai ; mais en disant Maximus Optimus, ils auroient parlé plus exactement, puisque sa bonté vient de sa puissance ; il est bon parce qu’il est grand.