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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/59

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les crimes qui les ont attirés. C’est dans vos cœurs insatiables, rongés d’envie, d’avarice & d’ambition, qu’au sein de vos fausses prospérités les passions vengeresses punissent vos forfaits. Qu’est-il besoin d’aller chercher l’enfer dans l’autre vie ? il est dès celle-ci dans le cœur des méchans.

Où finissent nos besoins périssables, où cessent nos desirs insensés, doivent cesser aussi nos passions & nos crimes. De quelle perversité de purs esprits seroient-ils susceptibles ? N’ayant besoin de rien, pourquoi seroient-ils méchans ? Si, destitués de nos sens grossiers, tout leur bonheur est dans la contemplation des êtres, ils ne sauroient vouloir que le bien ; & quiconque cesse d’être méchant, peut-il être à jamais misérable ? Voilà ce j’ai du penchant à croire, sans prendre peine à me décider là-dessus. Ô Être clément & bon ! quels que soient tes décrets, je les adore ; si tu punis les méchans, j’anéantis ma foible raison devant ta justice. Mais si les remords de ces infortunés doivent s’éteindre avec le tems, si leurs maux doivent finir, & si la même paix nous attend tous également un jour, je t’en loue. Le méchant n’est-il pas mon frere ? Combien de fois j’ai été tenté de lui ressembler ? Que, délivré de sa misere, il perde aussi la malignité qui l’accompagne ; qu’il soit heureux ainsi que moi ; loin d’exciter ma jalousie, son bonheur ne fera qu’ajouter au mien.

C’est ainsi que, contemplant Dieu dans ses œuvres, & l’étudiant par ceux de ses attributs qu’il m’importoit de connoître, je suis parvenu à étendre & augmenter par degrés l’idée, d’abord imparfaite & bornée, que je me faisois de