Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

est celui de soi-même : cependant combien de fois la voix intérieure nous dit qu’en faisant notre bien aux dépens d’autrui nous faisons mal ! Nous croyons suivre l’impulsion de la nature, & nous lui résistons ; en écoutant ce qu’elle dit à nos sens, nous méprisons ce qu’elle dit à nos cœurs ; l’être actif obéit, l’être passif commande. La conscience est la voix de l’âme, ces passions sont la voix du corps. Est-il étonnant que souvent ces deux langages se contredisent ? & alors lequel faut-il écouter ? Trop souvent la raison nous trompe, nous n’avons que trop acquis le droit de la récuser ; mais la conscience ne trompe jamais ; elle est le vrai guide de l’homme : elle est à l’âme ce que l’instinct est au corps [1] ; qui la suit obéit à la nature, & ne craint point de s’égarer. Ce point est important, poursuivit mon bienfaiteur, voyant que j’allais l’interrompre : souffrez que je m’arrête un peu plus à l’éclaircir.

  1. La philosophie moderne, qui n’admet que ce qu’elle explique, n’a garde d’admettre cette obscure faculté appelée instinct, qui paraît guider, sans aucune connoissance acquise, les animaux vers quelque fin. L’instinct, selon l’un de nos plus sages philosophes (Condillac), n’est qu’une habitude privée de réflexion, mais acquise en réfléchissant ; & de la manière dont il explique ce progrès, on doit conclure que les enfants réfléchissent plus que les hommes ; paradoxe assez étrange pour valoir la peine d’être examiné. Sans entrer ici dans cette discussion, je demande quel nom je dois donner à l’ardeur avec laquelle mon chien fait la guerre aux taupes qu’il ne mange point, à la patience avec laquelle il les guette quelquefois des heures entières, & à l’habileté avec laquelle il les saisit, les jette hors terre au moment qu’elles poussent, & les tue ensuite pour les laisser là, sans que jamais personne l’ait dressé à cette chasse, & lui ait appris qu’il y avoit là des tau-