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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/68

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adoroit l’impudique Vénus ; l’intrépide Romain sacrifioit à la Peur ; il invoquoit le Dieu qui mutila son pere, & mouroit sans murmure de la main du sien : les plus méprisables Divinités furent servies par les plus grands hommes. La sainte voix de la Nature, plus forte que celle des Dieux, se faisoit respecter sur la terre, & sembloit reléguer dans le Ciel le crime avec les coupables.

Il est donc au fond des ames un principe inné de justice & de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions & celles d’autrui comme bonnes ou mauvaises ; & c’est à ce principe que je donne le nom de conscience.

Mais à ce mot j’entends s’élever de toutes parts la clameur des prétendus sages : erreurs de l’enfance, préjugés de l’éducation, s’écrient-ils tous de concert ! Il n’y a rien dans l’esprit humain que ce qui s’y introduit par l’expérience ; & nous ne jugeons d’aucune chose que sur des idées acquises. Ils font plus ; cet accord évident & universel de toutes les Nations, ils l’osent rejetter ; & contre l’éclatante uniformité du jugement des hommes, ils vont chercher dans les ténebres quelque exemple obscur & connu d’eux seuls, comme si tous les penchans de la Nature étoient anéantis par la dépravation d’un peuple, & que sitôt qu’il est des monstres, l’espece ne fût plus rien. Mais que servent au sceptique Montaigne les tourmens qu’il se donne pour déterrer en un coin du monde une coutume opposée aux notions de la justice ? Que lui sert de donner aux plus suspects voyageurs l’autorité qu’il refuse aux Écrivains les