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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/73

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le crime en son nom. Elle se rebute enfin à force d’être éconduite ; elle ne nous parle plus, elle ne nous répond plus ; &, après de si longs mépris pour elle, il en coûte autant de la rappeller qu’il en coûta de la bannir.

Combien de fois je me suis lassé dans mes recherches de la froideur que je sentois en moi ! Combien de fois la tristesse & l’ennui, versant leur poison sur mes premieres méditations, me les rendirent insupportables ! Mon cœur aride ne donnoit qu’un zele languissant & tiede à l’amour de la vérité. Je me disois, pourquoi me tourmenter à chercher ce qui n’est pas ? Le bien moral n’est qu’une chimere ; il n’y a rien de bon que les plaisirs des sens. Ô quand une fois on a perdu le goût des plaisirs de l’ame, qu’il est difficile de le reprendre ! Qu’il est plus difficile encore de le prendre quand on ne l’a jamais eu ! S’il existoit un homme assez misérable pour n’avoir rien fait en toute sa vie dont le souvenir le rendît content de lui-même & bien-aise d’avoir vécu, cet homme seroit incapable de jamais se connoître ; & faute de sentir quelle bonté convient à sa nature, il resteroit méchant par force, & seroit éternellement malheureux. Mais croyez-vous qu’il y ait sur la terre entiere un seul homme assez dépravé, pour n’avoir jamais livré son cœur à la tentation de bien faire ? Cette tentation est si naturelle & si douce, qu’il est impossible de lui résister toujours ; & le souvenir du plaisir qu’elle a produit une fois, suffit pour la rappeller sans cesse. Malheureusement elle est d’abord pénible à satisfaire ; on a mille raisons pour se refuser au penchant de son cœur ; la fausse prudence le resserre dans les bornes du moi humain ;