Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/213

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à l’ordre des possibles, selon qu’ils sont plus ou moins éclairés ; tout nous prouve que nous ne pouvons connoîtra ces bornes. Cependant il faut qu’un miracle, pour être vraiment tel, les passe. Soit donc qu’il y ait des miracles, soit qu’il n’y en ait pas ; il est impossible au Sage de s’assurer que quelque fait que ce puisse être en est un.

Indépendamment des preuves de cette impossibilité que je viens d’établir, j’en vois une autre, non moins forte dans la supposition même : car, accordons qu’il y ait de vrais miracles ; de quoi nous serviront-ils s’il y a aussi de faux miracles, desquels il est impossible de les discerner ? Et faites bien attention que je n’appelle pas ici faux miracle un miracle qui n’est pas réel, mais un acte bien réellement surnaturel, fait pour soutenir une fausse doctrine. Comme le mot de miracle en ce sens peut blesser les oreilles pieuses, employons un autre mot, & donnons-lui le nom de prestige ; mais souvenons-nous qu’il est impossible aux sens humains de discerner un prestige d’un miracle.

La même autorité qui atteste les miracles, atteste aussi les prestiges ; & cette autorité prouve encore que l’apparence des prestiges ne differe en rien de celle des miracles. Comment donc distinguer les uns des autres ; & que peut prouver le miracle, si celui qui le voit ne peut discerner par aucune marque assurée & tirée de la chose même, si c’est l’œuvre de Dieu, ou si c’est l’œuvre du Démon ? Il faudroit un second miracle pour certifier le premier.

Quand Aaron jetta sa verge devant Pharaon & qu’elle fut changée en serpent, les Magiciens jetterent aussi leurs verges,