Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/526

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

il est très sur que pour les avoir négligées, pour avoir voulu mêler la force & les loix dans des matieres de préjuges & changer le point-d’honneur par la violence, on a compromise l’autorité royale & rendu méprisables des loix qui soient leur pouvoir.

Cependant en quoi consistoit ce préjuge qu’il s’agissoit détruire ? Dans l’opinion la plus extravagante & la plus barbare qui jamais entra dans l’esprit humain ; savoir, que tous les devoirs de la Société sont supplées par la bravoure ; qu’un homme n’est plus fourbe, fripon, calomniateur, qu’il est civil, humain, poli, quand il fait se battre ; que le mensonge se change en vérité, que le vol devient légitime, la perfidie honnête, l’infidélité louable, si-tôt qu’on soutient tout cela le fer à la main ; qu’un affront est toujours bien réparé par un coup d’épée ; & qu’on n’a jamais tort avec un homme, pourvu qu’on le tue. Il y a, je l’avoue, une autre sorte d’affaire où la gentillesse se mêle à la cruauté, & où l’on ne tue les gens que par hazard ; c’est celle où l’on se bat au premier sang. Au premier sang ! Grand Dieu ! Et qu’en veux - tu faire de ce sang, bête féroce ! Le veux-tu boire ? Le moyen de songer a ces horreurs sans émotion ? Tels sont les préjuges que les Rois de France, armes de toute la force publique, ont vainement attaques. L’opinion, reine du monde, n’est point soumise au pouvoir des Rois ; ils sont eux-mêmes ses premiers esclaves.

Je finis cette longue digression, qui malheureusement ne sera pas la derniere ; & de cet exemple, trop brillant peut-être, si parva licet componere magnis, je revins à des applications