Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/535

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différent du votre, & exposer vos Majestés aux huées de la populace ? Quel est donc, au fond, l’esprit que le Comédien reçoit de son etat ? Un mélange de bassesse de fausseté, de ridicule orgueil, & d’indigne avilissement, qui le rend propre à toutes sortes de personnages, hors le plus noble de tous, celui d’homme qu’il abandonne.

Je sais que le jeu du Comédien n’est pas celui d’un fourbe qui veut en imposer, qu’il ne prétend pas qu’on le prenne en effet pour la personne qu’il représente, ni qu’on le croye affecte des passions qu’il imite, & qu’en donnant cette imitation pour ce qu’elle est, il la rend tout-à-fait innocente. Aussi ne l’accuse-je pas d’être précisément un trompeur, mais de cultiver pour tout métier le talent de tromper les hommes, & de s’exercer à des habitudes qui, ne pouvant être innocentes qu’au Théâtre, ne servent par-tout ailleurs qu’à mal faire. Ces hommes si bien pares, si bien exerces au ton de la galanterie & aux accens de la passion, n’abuseront - ils jamais de cet art pour séduire de jeunes personnes ? Ces valets filoux, si subtils de la langue & de la main sur la Scene, dans les besoins d’un métier plus dispendieux que lucratif, n’auront-ils jamais de diffractions utiles ? Ne prendront- ils jamais la bourse d’un fils prodigue ou d’un pere avare pour celle de Léandre ou d’Argan ?*

[*On a relevé ceci comme outre & comme ridicule. On a eu raison, Il n’y a point de vice dont les Comédiens soient moins accuses que de la friponnerie. Leur métier qui les occupe beaucoup & leur donne même des sentimens d’honneur à certains égards ; les éloigne d’une telle bassesse. Je laisse ce passage, parce que je me suis fait une loi de ne rien ôter ; mais je le désavoue hautement comme une très-grande injustice.] Par-tout la tentation de