Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/633

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mais le Philosophe ne se donne pas pour savoir la vérité, il la cherche, il examine, il discute, il étend nos vues, il nous instruit même en se trompant ; il propose ses doutes pour des doutes, ses conjectures pour des conjectures, & n’affirme que ce qu’il fait. Le Philosophe qui raisonne, soumet ses raisons à notre jugement ; le Poete & l’imitateur, se fait juge lui-même. En nous offrant ses images, il les affirme conformes à la vérité : il est donc obligé de la connoître, si son art a quelque réalité ; en peignant tout, il se donne pour tout savoir. Le Poete est le Peintre qui fait l’image ; le Philosophe est l’Architecte qui leve le plan : l’un ne daigne pas même approcher de l’objet pour le peindre ; l’autre, mesure avant de tracer.

Mais de peur de nous abuser par de fausses analogies, tâchons de voir plus distinctement à quelle partie, a quelle faculté de notre ame se rapportent les imitations du Poete, & considérons d’abord d’où vient l’illusion de celles du Peintre. Les mêmes corps vus à diverses distances ne paroissent pas de même grandeur, ni leurs figures également sensibles, ni leurs couleurs de la même vivacité. Vus dans l’eau, ils changent d’apparence ; ce qui étoit droit, paroît brisé ; l’objet paroît flotter avec l’onde. À travers un verre sphérique ou creux, tous les rapports des traits sont changés ; à l’aide du clair, & des ombres, une surface plane se releve ou se creuse au gré du Peintre ; son pinceau grave des traits aussi profonds que le ciseau du Sculpteur, & dans les reliefs qu’il fait tracer sur la toile, le toucher démenti par la vue, laisse à douter auquel des deux on doit se fier.