Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je ne dis ni ne pense qu’il n’y ait aucune bonne Religion sur la terre ; mais je dis, & il est trop vrai, qu’il n’y en a aucune parmi celles qui sont ou qui ont été dominantes, qui n’ait fait à l’humanité des plaies cruelles. Tous les partis ont tourmenté leurs freres, tous ont offert à Dieu des sacrifices de sang humain. Quelle que soit la source de ces contradictions, elles existent ; est-ce un crime de vouloir les ôter ?

La charité n’est point meurtriere. L’amour du prochain ne porte point à le massacrer. Ainsi le zele du salut des hommes n’est point la cause des persécutions ; c’est l’amour-propre & l’orgueil qui en est la cause. Moins un culte est raisonnable, plus on cherche à l’établir par la force : Celui qui professe une doctrine insensée, ne peut souffrir qu’on ose la voir telle qu’elle est : la raison devient alors le plus grand des crimes ;à quelque prix que ce soit il faut l’ôter aux autres, parce qu’on a honte d’en manquer à leurs yeux. Ainsi l’intolérance & l’inconséquence ont la même source. Il faut sans cesse intimider, effrayer les hommes. Si vous les livrez un moment à leur raison, vous êtes perdus.

De cela seul, il suit que c’est un grand bien à faire aux peuples dans ce délire, que de leur apprendre à raisonner sur la Religion : car c’est les rapprocher des devoirs de l’homme, c’est ôter le poignard à l’intolérance, c’est rendre à l’humanité tous ses droits. Mais il faut remonter à des principes généraux & communs à tous les hommes ;car si, voulant raisonner, vous laissez quelque prise à l’autorité des Prêtres, vous rendez au fanatisme son arme, & vous lui fournissez de quoi devenir plus cruel.