Dans les premiers tems (*)
[* J'appelle les premiers tems ceux de la dispersion des hommes, à quelque âge du genre-humain qu'on veuille en fixer l'époque.]
les hommes épars sur la face de la terre n'avoient de société que celle de la famille, de la loix que celles de la nature, de langue que le geste & quelques sons inarticulés (†).
[† Les véritables langues n'ont point une origine domestique, il n'y a qu'une convention plus générale & plus durable qui les puisse établir. Les Sauvages de l'Amérique ne parlent presque jamais que hors de chez eux ; chacun garde le silence dans sa cabane, il parle par signes à sa famille, & ces signes sont peu fréquens, parce qu'un Sauvage est moins inquiet, moins impatient qu'un Européen, qu'il n'a pas tant de besoins, & qu'il prend soins d'y pourvoir lui-même.]
Ils n'étoient liés par aucune idée de fraternité commune, & n'ayant aucun arbitre que la force, ils se croyoient ennemis les uns des autres. C'étoient leur foiblesse & leur ignorance qui leur donnoient cette opinion. Ne connoissant rien, ils craignoient tout, ils attaquoient pour se défendre. Un homme abandonné seul sur la face de la terre, à la merci du genre-humain, devoit être un animal féroce. Il étoit prêt à faire aux autres tout le mal qu'il craignoit d'eux. La crainte & la foiblesse sont les sources de la cruauté.
Les affections sociales ne se développent en nous qu'avec nos lumieres. La pitié, bien que naturelle au cœur de