Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/383

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rien ; mais j’espérois encore, & cet espoir tantôt bercé, tantôt frustré, étoit une prise par laquelle mille passions diverses ne cessoient de m’agiter. Un événement aussi triste qu’imprévu vient enfin d’effacer de mon cœur ce foible rayon d’espérance, & m’a fait voir ma destinée fixée à jamais sans retour ici-bas. Dès-lors je me suis résigné sans réserve, & j’ai retrouvé la paix.

Si-tôt que j’ai commencé d’entrevoir la trame dans toute son étendue, j’ai perdu pour jamais l’idée de ramener de mon vivant le public sur mon compte, & même ce retour ne pouvant plus être réciproque me seroit désormais bien inutile. Les hommes auroient beau revenir à moi, ils ne me retrouveroient plus. Avec le dédain qu’ils m’ont inspiré, leur commerce me seroit insipide & même à charge, & je suis cent fois plus heureux dans ma solitude, que je ne pourrois l’être en vivant avec eux. Ils ont arraché de mon cœur toutes les douceurs de la société. Elles n’y pourroient plus germer derechef à mon âge ; il est trop tard. Qu’ils me fassent désormais du bien ou du mal tout m’est indifférent de leur part, & quoi qu’ils fassent, mes contemporains ne seront jamais rien pour moi.

Mais je comptois encore sur l’avenir, & j’espérois qu’une génération meilleure, examinant mieux & les jugemens portés par celle-ci sur mon compte, & sa conduite avec moi, démêleroit aisément l’artifice de ceux qui la dirigent, & me verroit enfin tel que je suis. C’est cet espoir qui m’a fait écrire mes Dialogues, & qui m’a suggéré mille folles tentatives pour les faire passer à la postérité. Cet espoir, quoiqu’éloi-