Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/630

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ces siecles grossiers, où le poids de l’ignorance commençoit à se faire sentir, où le- besoin & l’avidité de savoir concouroient à rendre utile & respectable tout homme un peu plus instruit que les autres, si ceux-ci eussent été aussi savans qu’ils sembloient l’être, s’ils avoient eu toutes les qualités qu’ils faisoient briller avec tant de pompe, ils eussent passé pour des prodiges ; ils auroient été recherchés de tous ; chacun se seroit empressé pour les avoir, les posséder, les retenir chez soi ; & ceux qui n’auroient pu les fixer avec eux, les auroient plutôt suivis par toute la terre, que de perdre une occasion si rare de s’instruire & de devenir des Héros pareils à ceux qu’on leur faisoit admirer. *

[* Platon ne veut pas dite qu’un homme entendu pour ses intérêts & versé dans les affaires lucratives, ne puisse, en trafiquant de la Poésie, où par d’autres moyens, parvenir à une grande fortune. Mais il est fort différent de s’enricher & s’illustrer par le métier de Poete, ou de s’enrichir & de s’illustrer par les talens que le Poete prétend enseigner. Il est vrai qu’on pouvoit alléguer à Platon l’exemple de Tirtée ; mais il se fût tiré d’affaire avec une distinction, en le considérant plutôt comme Orateur que comme Poete. ]

Convenons donc que tous les PoEtes, à commencer par Homere, nous représentent dans leurs tableaux, non le modele des vertus, des talens, des qualités de l’ame, ni les autres objets de l’entendement & des sens qu’ils n’ont pas en eux-mêmes, mais les images de tous ces objets tirées d’objets étrangers ; & qu’ils ne sont pas plus près en cela de la vérité, quand ils nous offrent les traits d’un Héros ou d’un Capitaine, qu’un Peintre qui, nous peignant un Géometre ou un Ouvrier, ne regarde point à l’art où il n’entend rien, mais seulement aux couleurs & à la figure.