Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/181

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sait ce qu’elle veut, parce qu’elle sait rarement ce qui lui est bon, exécuterait-elle d’elle-même une entreprise aussi grande, aussi difficile qu’un système de législation ? De lui-même le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même il ne le voit pas toujours. La volonté générale est toujours droite, mais le jugement qui la guide n’est pas toujours éclairé[1]. Il faut lui faire voir les objets tels qu’ils sont, quelquefois tels qu’ils doivent lui paraître, lui montrer le bon chemin qu’elle cherche, la garantir des séductions des volontés particulières, rapprocher à ses yeux les lieux et les temps, balancer l’attrait des avantages présents et sensibles par le danger des maux éloignés et cachés. Les particuliers voient le bien qu’ils rejettent ; le public veut le bien qu’il ne voit pas. Tous ont également besoin de guides. Il faut obliger les uns à conformer leurs volontés à leur raison ; il faut apprendre à l’autre à connaître ce qu’il veut. Alors des lumières publiques résulte l’union de l’entendement et de la volonté dans le corps social[2] ; de là l’exact concours des parties, et enfin la plus grande force du tout. Voilà d’où naît la nécessité d’un législateur.

  1. Voir II, iii.
  2. Lorsque le corps social est éclairé, il sait alors, grâce à son entendement, en quoi consiste le bien commun auquel tendait instinctivement sa volonté. Il y a donc accord entre les deux facultés.