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CHAPITRE VII


DU LÉGISLATEUR


Pour découvrir les meilleures règles de société qui conviennent aux nations, il faudrait une intelligence supérieure qui vît toutes les passions des hommes et qui n’en éprouvât aucune ; qui n’eût aucun rapport avec notre nature, et qui la connût à fond ; dont le bonheur fût indépendant de nous et qui pourtant voulût bien s’occuper du nôtre ; enfin, qui, dans le progrès des temps se ménageant une gloire éloignée, pût travailler dans un siècle et jouir dans un autre[1]. Il faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes.

Le même raisonnement que faisait Caligula[2] quant au fait, Platon le faisait quant au droit pour définir l’homme civil ou royal qu’il cherche dans son livre du Règne[3]. Mais s’il est vrai qu’un grand prince est un homme rare, que sera-ce d’un grand législateur ? Le premier n’a qu’à suivre le modèle que l’autre doit proposer. Celui-ci est le mécanicien qui invente la machine, celui-là n’est que l’ouvrier qui la monte et la fait marcher. « Dans

  1. (a) Un peuple ne devient célèbre que quand sa législation commence à décliner. On ignore durant combien de siècles l’institution de Lycurgue fit le bonheur des Spartiates avant qu’il fût question d’eux dans le reste de la Grèce (Note de Rousseau).
  2. Voir l’anecdote déjà citée par Rousseau, I, ii.
  3. Il s’agit du dialogue intitulé d’ordinaire le Politique.