Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/202

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Cette égalité, disent-ils (1), est une chimère de spéculation qui ne peut exister dans la pratique. Mais si l'abus est inévitable, s'ensuit-il qu'il ne faille pas au moins le régler ? C'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir (2).
des vertus plutôt qu'à proposer des mesures législatives propres à la réaliser. — On trouve dans le Projet de Constitution pour la Corse (ouv. cit., p. 72 et 100) ces décla- rations beaucoup plus précises : « La loi fondamentale de votre institution doit être l'égalité. . . L'État ne doit accorder de distinctions qu'au mérite, aux vertus, aux services rendus à la patrie, et ces distinctions ne doivent pas être plus héréditaires que ne le sont les qualités sur lesquelles elles sont fondées — Loin de vouloir que lÉtat soit pauvre, je voudrais au contraire qu'il eût tout, et que chacun n'eût sa part aux biens communs qu'en proportion de ses ser- vices .... Il suffit de faire entendre ici ma pensée, qui n'est pas de détruire absolument la propriété particulière, parce que cela est impossible, mais à la renfermer dans les plus étroites bornes, de lui donner une mesure, une règle, un frein qui la contienne, la dirige, la subjugue et la tienne toujours subordonnée au bien public. . . »

(1) Les adversaires de cette théorie.

(2) Formule admirable de concision et de profondeur, qui me paraît parfaitement exprimer l'esprit de la politique égalitaire. — La force des choses tend à détruire l'égalité, d'abord parce que les individus naissent naturellement dissemblables par la puissance physique et intellectuelle, ensuite parce que les volontés particulières se portent toujours vers « les préférences » et agissent en vue des intérêts privés, enfin parce que la concurrence et la « lutte pour la vie » déterminent une sélection naturelle sans cesse renouvelée et par suite une différenciation crois- sante des individus. C'est justement le rôle de la législation que de contrebalancer ces forces naturelles et d'imposer à l'inégalité des bornes telles que la puissance des forts ne détruise pas la liberté des faibles.