Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/327

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que c’était par cela même que chaque État, ayant son culte propre aussi bien que son gouvernement, ne distinguait point ses dieux de ses lois. La guerre politique était aussi théologique ; les départements des dieux étaient, pour ainsi dire, fixés par les bornes des nations. Le dieu d’un peuple n’avait aucun droit sur les autres peuples. Les dieux des païens n’étaient point des dieux jaloux ; ils partageaient entre eux l’empire du monde. Moïse même et le peuple hébreu se prêtaient quelquefois à cette idée en parlant du dieu d’Israël. Ils regardaient, il est vrai, comme nuls les dieux des Chananéens, peuples proscrits, voués à la destruction, et dont ils devaient occuper la place ; mais voyez comment ils parlaient des divinités des peuples voisins qu’il leur était défendu d’attaquer : « La possession de ce qui appartient à Chamos, votre dieu, disait Jephté aux Ammonites, ne vous est-elle pas légitimement due ? Nous possédons au même titre les terres que notre dieu vainqueur s’est acquises [1]. » C’était là, ce me semble, une parité bien reconnue entre les droits de Chamos et ceux du dieu d’Israël.

Mais quand les juifs, soumis aux rois de Babylone, et dans la suite aux rois de Syrie, voulurent s’obstiner à ne reconnaître aucun autre dieu que le leur, ce refus, regardé comme une rébellion contre

  1. (a) « Nonne ea quæ possidet Chamos, deus tuus, tibi jure debentur ? » Tel est le texte de la Vulgate. Le P. de Carrières a traduit : « Ne croyez-vous pas avoir droit de posséder ce qui appartient à Chamos, votre dieu ? » J’ignore la force du texte hébreu ; mais je vois que, dans la Vulgate, Jephté reconnaît positivement le droit du dieu Chamos, et que le traducteur français affaiblit cette reconnaissance par un selon vous qui n’est pas dans le latin. (Note de Rousseau).