Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/326

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le polythéisme [1], et de là l’intolérance théologique et civile, qui naturellement est la même, comme il sera dit ci-après.

La fantaisie qu’eurent les Grecs de retrouver leurs dieux chez les peuples barbares vint de celle qu’ils avaient aussi de se regarder comme les souverains naturels de ces peuples. Mais c’est de nos jours une érudition bien ridicule, que celle qui roule sur l’identité des dieux de diverses nations ; comme si Moloch, Saturne et Chronos pouvaient être le même Dieu ; comme si le Baal des Phéniciens, le Zeus des Grecs et le Jupiter des Latins pouvaient être le même ; comme s’il pouvait rester quelque chose commune à des êtres chimériques portant des noms différents [2] !

Que si l’on demandait comment dans le paganisme, où chaque État avait son culte et ses dieux, il n’y avait point de guerres de religion, je réponds

  1. Il est évident que le polythéisme résulte de causes plus nombreuses et plus profondes que celles qu’indique ici Rousseau ; mais il est vrai que, chaque groupe social ayant ses dieux, ceux-ci se trouvèrent engagés dans les querelles de ces groupes, et les changements politiques entraînèrent souvent des changements religieux.
  2. Le raisonnement de Rousseau porte ici tout à fait à faux. La mythologie comparée, qui s’est fondée au xixe siècle, a au contraire prouvé qu’un même culte se transformait nécessairement lorsque les conditions sociales des peuples se modifiaient et qu’une même divinité pouvait ainsi changer de caractère et de nom ; on a cherché à retrouver dans le Panthéon des Grecs ou des Romains les anciens dieux des Aryas de l’Inde, à qui s’étaient d’ailleurs ajoutés beaucoup de divinités locales plus récentes. Pour être chimériques, les dieux n’en ont pas moins eu une histoire et subi d’innombrables transformations.