Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/59

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la possibilité de faire de cette liberté même un mauvais usage, et, en dernière analyse, le peuple demeure souverain juge des limites qu’il convient d’imposer à la loi elle-même, du bien et du mal légal ( J ). C’est là un fait encore plus qu’un droit, mais c’est aussi un droit, du moment qu’on accepte les principes de l’individualisme et qu’on voit dans une société une collection d’hommes libres, associés en vue d’assurer *leur commune liberté et leur commun bonheur. — La souveraineté du peuple exclut donc toute idée de limite matérielle ou légale.

Peut-on enlever au peuple cette souveraineté et l’attribuer à quelque puissance extérieure à lui, par exemple en investir totalement un roi ou une assemblée ? — Gela est, en effet, possible, mais il faut bien voir les conséquences d’un tel parti. C’est la destruction complète de toute liberté politique ; or, « renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs ( 2 ) ». L’individu, pour sauvegarder contre une atteinte possible ses intérêts individuels, se remet tout entier entre les mains d’un maître,. dont nous avons vu que les intérêts restaient nécessairement distincts des siens. C’est le recours à un « sauveur », chargé de nous garantir cette a sécurité dans les jouissances privées », dont parlait Benjamin Constant. Or, le calcul n’est pas seulement déshonorant, la raison — sans parler de l’histoire — prouve qu’il est encore incertain et malhabile : en renonçant à sa liberté politique pour assurer sa liberté civile, l’homme se dépouille de tout moyen de maintenir des limites à sa servitude

H Tel me parait le sens — nullement contradictoire — de la phrase tant critiquée, C. s., II, iv : « ... tout ce que chacun aliène, par le pacte social, de sa puissance, de ses biens, de sa liberté, c’est seulement la partie de tout cela dont l’usage importe à la communauté ; mais il faut convenir aussi que le souverain seul est juge de cette importance. »

( 2 ) C. s.,!, iv.