Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/139

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82 DU CONTRAT SOCIAL. provinces diverses qui ont des moeurs différentes, qui vivent sous des climats opposés., et qui ne peuvent souffrir la meme forme de gouvernement. Des lois différentes n’en- gendrent que trouble et confusion parmi des peuples qui, vivant sous les memes chefs et dans une communication continuelle, passent ou se marient les uns chez les autres, et, soumis a d’autres coutumes, ne savent jamais si leur patrimoine est bien a eux. Les talents sont enfouis, les vertus ignorées, les vices impunis, dans cette multitude d’hommes inconnus les uns aux autres,que le siege de l’ad- ministration supreme rassemble dans un meme lieu. Les chefs, accablés d’ali"aires, ne voient rien par eax-memes; i des commis gouvernent l’Etat. Enfin les mesures qu’il faut prendre pour maintenir l’autorité générale, at laquellc tant ` d’ofHciers éloignés veulent se soustraire ou en imposer, absorbent tous les soins publics; il n’en reste plus pour le bonheur du peuple; a peine en reste-t-il pour sa defense au besoin, et c’est ainsi qu’un corps trop grand pour sa consti- tution s’afl`aisse et périt écrasé sous son propre poids. D’un autre ceté., l’Etat doit se donner une certaine base pour avoir de la solidité, pour résister aux secousses qu’il ne manquera pas d’éprouver., et aux efforts qu’il sera con- traint de faire pour se soutenir : car tous les peuples ont une espece de force centrifuge par laquellc ils agissent conti- nuellement les uns contre les autres, et tendent a s’agrandir aux dépens de leurs voisins, comme les tourbillons de Des- cartes. Ainsi les faibles risquent d’etre bientet engloutis; et nul ne peut guere se conserver qu’en se mettant avec tous dans une espece d’équilibre qui rende la compression par- tout a peu pres égale. ` On voit par la qu’il y a des raisons de s‘étendre et des raisons de se resserrer; et ce n’est pas le moindre talent du évidemmcnt la plus grande quantité possible de citoyens capables de satis- faire aux besoins de leur existence, mais point assez nombreux, cependant, pour se soustraire it une facile surveillance.