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Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/312

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APPENDICE I. 251 sonné l’homme éclairé et independant est que c’est ainsi que rai- sonne toute société souveraine, qui ne rend compte de sa conduite qu’a elle-méme (a). Que répondre de solide A de pareils discours, si 1’on ne veut amener la religion A l’aide de la morale, et faire intervenir imrnédia- temcnt la volonté de Dieu pour lier la société des hommes (b). Mais les notions sublimes du Dieu des sages, les douces lois de la frater- nité qu’il nous impose, les vertus sociales des Ames pures, qui sont le vrai culte qu’il veut de nous, échapperont toujours A la multitude, On lui fera toujours des dieux insensés comme elle, auxquels elle sacrifiera de légeres commodités pour se livrer en leur honneur A mille passions horribles et destructives. La terre entiére regorgerait de sang et le genre humain périrait bientot si la philosophic et les lois ne retenaient les fureurs du fanatisme, et si Ia voix des hommes n’était plus forte que celle des dieux. _ En eifet, si (1) les notions du grand Etre et de la loi naturelle étaient innées dans tous les ccxzurs, ce fut un soin bien superflu d’enseigner expressément l’une et l’autre : c’était nous apprendre ce que nous savions déjA, et la maniere dont on s’y est pris cut été bien plus propre A nous les faire oublier. Si elles ne 1’étaient pas, tous ceux A qui Dieu ne les a point données, sont dispensés de les savoir : dés qu’il a fallu pour cela des instructions particuliéres, chaque peuple a les siennes, qu’on lui prouve étre les seules bonnes,et d’oi1 dérivent plus souvent le carnage et les meurtres que la concorde et la paix (c). qu’ils devraient se faire, ou s`ils ne seraient pas, A tout prendre, dans une situation plus heureuse de n‘avoir ni mal A craindre, ni bien A esperer de personne que de s‘étre soumis A une dependance universelle et de s‘obliger A tout recevoir de ceux qui ne s‘obligent A leur rien donner. (1) Comme je le crois. (a) R. Discours sur Nnégalité. Les philosophes qui ont examine les fondements de la société ont tous senti la nécessite de remonter iusqu'A l’etat de nature, mais aucun d'eux n'y est arrive. Les uns n°ont point balance A supposer en l'homme dans cet etat la notion du iuste et de l‘iniuste, sans se suucier dc montrcr qu'il dut avoir cette notion, ni meme qu'elle lui fut utile. (b) R. Discours sur Flrzégalité. Les gouvernements humains avaieut besoin d`une base plus sohde que la seule raison et il était necessaire au repos public que la volonté divine intervint, pour dormer A l‘autorite souveraine un caractere sacré et inviolable qui 6tAt aux suiets le funeste droit d'en disposer. . (c) R. Emile, liv. IV. Montrez-moi ce qu’on peut aiouter pour la gloire de Dieu, pour le bien de la societe et pour mon propre avantage aux devoirs de la loi naturelle et quelle vertu vous ferez naitre d’un nouveau culte, qui ne soit pas une consequence du mien. Les plus grandes idees de la Divinite viennent par la raison seule. Voyez le spectacle de la nature. Ecoutez la voix intérieure. Dieu n’a-t-il pas tout dit A nos yeux, A notre conscience. A notre iugement? Qu°est—ce que les hommes nous diront de plus? Leurs revelations ne font que degrader Dieu en lui donnantles passions humaines. Loin d`éclaircir les notions du grand étre, ie vois que les dogmes particuliers lesembrouil- lent, que loin de les ennoblir il les avilissent, qu'aux mysteres inconeevables qui l'envi· ronnent, ils ajoutent des contradictions absurdes, qu‘ils rendent l'homme orgueilleux, intolerant, cruel, qu‘au lieu d'établir la paix sur la terre, ils y portent le fer et le feu. Je me demande A quoi bon tout cela sans savoir me repondre. Je n'y vois que les crimes des hommes et les miseres du genre humain.