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Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/313

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1 252 DU CONTRAT SOCIAL. Laissons donc a part les préceptes sacrés des Religions diverses, dont l’abus cause autant de crimes, que leur usage en peut épargner, et rendons au Philosophe l’examen d’une question, que le Théologien n’a jamais traitée qu’au préjudice du genre humain. Mais Ie premier me renverra par devant le genre humain (a) méme a qui seul il appartient de décider, parce que le plus grand bien de tous est la seule passion qu’il ait. C’est, me dira-t-il, A la volonté générale que 1’individu doit s’adresser pour savoir jusqu’oi1 il doit étre homme, citoyen, sujet, pére, enfant, et quand il lui convient de vivre et de mourir. it Je vois bien la, je l’avoue, la régle que je puis consulter : mais je ne vois pas encore, dira notre homme indépendant, la raison, qui doit m’assujettir a cette régle (1) ». [Il ne s’agit pas de m’apprendre ce que c'est que justice, il s’agit de me montrer quel intérét j’ai d’étre juste.] En effet que la volonté générale soit dans chaque individu un acte pur de l’entendement, qui raisonne dans le silence des passions sur ce que 1’homme peut exiger de son semblable et sur ce que son semblable est en droit d’exiger de lui, nul n’en discon- viendra. Mais, ou est l’homme, qui puisse ainsi se séparer de lui- méme (b), et si le soin de sa propre conservation est Ie premier pré- cepte de la nature, peut-on le forcer de regarder ainsi l’espéce (2) en général pour s’imposer, a lui, des devoirs, dont il ne voit point Ia liaison avec sa constitution particuliere? Les objections précédentes ne subsistent—elles pas toujours, et ne reste-t-il pas encore a voir comment son intérét personnel exige qu’il se soumette a la volonté générale (c)? De plus; comme l’art de généraliser ainsi ses idées est un des exercices les plus difficiles et les plus tardits de l`entendement humain (d),le commun des hommes sera-t-il jamais en état de tirer de cette maniere de raisonner les régles de sa conduite (e), et quand il (t) Le passage entre crochets est écrit avec un appel au verso du feuillet 7 du ma- nuscrit. ll nous paralt devoir étre intercalé dans le texte. (2) L'h0mme. (a) Voir Encyclopedic, Droit naturel (Morale). - Mais si nous 6tons ai l'individu le droit de décider de Ia nature du iuste et de l‘injuste, ou porterons·nous cette grande question? Ou? devant le genre humain, c°est A Iui seul qu’il appartient de la décider parce que le bien de tous est la seule passion qu’il ait... C'est a la volonté générale que l'individu doit s°adresser pour savoir jusqu’ou il doit étre homme, citoyen, sujet. pere, enfant. et quand il lui convient de vivre et de mourir... La volonté générale est dans chaque individu un acte pur de Pentendement qui raisonne dans le silence des passions sur ce que l°homme peut exiger de son semblable et sur ce que son semblable est eu droit djexiger de lui. (b) Emile, liv. I. L'homme naturel est tout pour lui, il est l'unité uumérique, l’entier absolu, qui n’a de rapport qu°a lui—méme ou a son semblable. (c) R.EmiIe, liv. IV. Que faudrait-il pour bien observer les hommes?Un grand intérét a les connaitre, une grande impartialité a les juger, un cmur assez sensible pour con- eevoir routes les passions humaines et assez calme pour ne pas les éprouver. (d) Emile, liv. IV. Bornés par nos facultés aux choses sensibles, nous n'otl`rons presque_aucune prise aux notions abstraites de la philosophic. (e) Emile, liv. IV. Ce ne sera qu°aprés avoir cultivé son naturel eu mille manieres,