Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/319

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258 DU CONTRAT SOCIAL. injustice dont le progres causerait bientot la ruine du corps politique. Afin donc que le contrat social ne soit pas un vain formulaire, il faut qu’indépendamment du consentement des particuliers, le souve- rain ait quelques garants de leurs engagements envers la cause com- mune. Le serment est ordinairement le premier de ces garants, mais comme il est tiré d’un ordre de choses tout a faitdifférent, et que chacun, selon ses maximes internes, modifie a son gré l’obligation qu’il lui impose, on y compte peu dans les institutions politiques, et l’on préfére avec raison les suretés plus réelles qui se tirent de la chose méme. . ' Ainsi le pacte fondamental renferme tacitement cet engagement, qui seul peut donner de la force a tous les autres, que quiconque refu- sera d’obéir A la volonté générale y sera contraint par tout le corps. Mais il importe ici de se bien souvenir que le caractere propre et distinctif du pacte est que le peuple ne contracte qu’avec lui-méme, c’est-a-dire le peuple en corps, comme souverain, avec les particu- liers qui le composent, comme sujets, condition qui fait tout Parti- fice et le jeu de la machine politique, et qui seule rend légitimes, rai- sonnables et sans danger des engagements qui, sans cela, seraient absurdes, tyranniques et sujets aux plus énormes abus.] (a) [Ce passage de l’état de nature a l’état social produit dans l’homme un changement remarquable,en substituant dans sa conduite la justice in l’instinct, et donnant a ses actions des rapports moraux qu’elles n’avaient point auparavant. C’est alors seulement que, la voix du devoir succédant a l’impulsion physique et le droit a l’appétit, l’homme qui jusque-la n’avait regardé que lui—méme, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants. Mais quoiqu’il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu’il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses fa- cultés s’exercent et se développent, ses idées s’étendent, ses senti- ments s’ennoblissent, et son time tout entiere s’é1eve a tel point que si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradent souvent au- dessous méme de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l’instant heureux qui l’en arracha pour jamais et qui, d’un animal stupide et borné, fit un étre intelligent et un homme. Réduisons toute cette balance a des termes faciles a comparer : Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité in tout ce qui lui est nécessaire; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possede. Pour ne pas se tromper dans ces estimations, il faut bien distinguer la liberté na- turelle, qui n’a pour bornes que la force de l’individu, de la liberté civile, qui est limitée par la volonté générale et la possession, qui n’est que l’efl`et de la force (1) ou le droit du premier occupant de la propriété, qui ne peut étre fondée que sur un titre juridique.] (1) Le droit du plus fort. (a) Le morceau entre crochcts a passe dans le Contra! social, liv. I, chap. vm.