Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/336

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APPENDICE l. 269 nature, et dont par conséquent nul homme ne les peut dépouiller. Supposons qu’un conquérant habile et zélé pour le bonheur de ses sujets leur cut persuadé qu’avec un bras de moins ils en seraient plus tranquilles et plus heureux, en serait-ce assez pour obliger tous les enfants a perpétuité de se faire couper un bras pour remplir les enga- gements de leurs peres? A l’égard du consentement tacite, par lequel on veut légitimer la tyrannie, il est aisé de voir qu’on ne peut le présumer du plus long silence, parce qu’outre la crainte qui empéche les particuliers de protester contre un homme qui dispose de la force publique, le peuple, qui ne peut manifester (1) sa volonté qu’en corps, n’a pas le pouvoir de s’assembler pour la déclarer. Au contraire, le silence des citoyens suffit pour rejeter un chef non reconnu; il faut qu’ils parlent pour l’autoriser et qu’ils parlent en pleineliberté. Au reste, tOut ce que disent la·dessus les jurisconsultes et autres gens payés pour cela ne prouve point que le peuple n’ait pas le droit de reprendre sa liberté usurpée, mais qu’il est dangereux de le tenter. C’est aussi ce qu’il ne faut jamais faire, quand on connait de plus grands maux que celui de l’avoir perdue. Toute cette dispute du pacte social me semble se réduire a une question tres simple. Qu’est-ce qui peut avoir engagé les hommes a se réunir volontairement en corps de société, si ce n’est leur utilité commune? L’utilité commune est donc le fondement de la société civile. Cela posé, qu’y a-t-il a faire pour distinguer les Etats légitimes des attroupements forcés, que rien n’autorise, sinon de considérer l’objet ou la fin des uns et des autres? Si la forme de la société tend au bien commun, elle suit (2) l’esprit de son institution; si elle n’a en vue que Pintérét des chefs, elle est illégitime par droit de raison et d’humanité; car, quand méme l’intérét public s’accorderait quelquefois avec celui de la tyrannie, cet accord passager ne saurait suffire pour autoriser un gouvernement dont il ne serait pas le principe. Quand Grotius nie que tout pouvoir soit établi en faveur de ceux qui sont gouvernés, il n’a que trop raison dans le fait, mais c’est du droit qu’il est question. Sa preuve unique est singuliere : il la tire du pouvoir d’un maitre sur son esclave, comme si l’on autorisait un fait par un fait, et que l’esclavage lui-méme fiit moins inique que la tyrannie. C’est précisément le droit d’esclavage qu’il fallait établir. Il n’est pas question de ce qui est convenable mais de ce qui est juste, ni du pouvoir auquel on est forcé d’obéir, mais de celui qu’on est obligé de reconnaitre.] (u Déclarer. (2) Marche sclon. _