Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/364

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

APPENDICE I. . 297 droit naturel, sans leur en ajouter aucune autre, et, par la, un des plus grands soutiens de la société reste sans effet dans l’Etat. On nous dit qu’un peuple de vrais chrétiens formerait la plus parfaite société qu’on puisse imaginer; la plus parfaite, en un sens purement moral, cela peut étre, mais non pas certainement la plus forte, ni la plus durable. Le peuple serait soumis aux lois, les chefs seraient équitables, les soldats mépriseraient la mort, j’en conviens, mais ce n’est pas le tout. Le christianisme est une religion toute spirituelle, qui détache (1) les hommes des choses de la terre, la patrie du chrétien n’est pas dc y ce monde; il fait son devoir, il est vrai, mais il le fait avec une pro- fonde indifiérence sur le succes des soins qu’il se donne. Peu lui im- porte que tout aille bien ou mal ici-bas; si l’Etat est florissant,il iouit modestement (2) de la félicité publique; si l’Etat dépérit, il bénit la main de Dieu qui s’appesantit sur son peuple. Pour que la société filt paisible et que l’harmonie se maintint, il faudrait que tous les citoyens, sans exception, fussent également bons chrétiens, mais si malheureusement, il s’y trouvait quelque ambitieux ou quelque hy- pocrite, un Catilina par exemple, ou un Cromwell, celui·le, tres cer- tainement, aurait bon marché de ses pieux compatriotes (3). Des qu’il aurait trouvé, par quelque ruse, le secret de les tromper et de s’em- parer d’une partie de l’autorité publique,aussit6t voila une puissance. Dieu veut qu’on lui obéisse, c’est la verge dont il punit ses enfants; on se ferait conscience de chasser l’usurpateur, il faudrait verser du sang, user de violence, troubler le repos public, tout cela ne s’accorde point avec la douceur du chrétien, et apres tout, qu’importe qu’on soit libre ou dans les fers dans cette vallée de misere,l’essentiel est d’aller en paradis, et la résignation n’est qu’un moyen de plus pour cela; on peut etre tout aussi bien sauvé esclave qu’homme libre. Survient-il quelque guerre étrangere, les citoyens marchent au com- bat, nul d’eux ne songe a fuir; ils font leur devoir (4), mais ils ont peu de passion pour la victoire, ils savent plutot mourir que vaincre. Qu’ils soient vainqueurs ou vaincus, qu’importe, la providence sait mieux qu’eux ce qu’il leur faut. Qu’on imagine quel parti un ennemi impétueux (S), actif, passionné peut tirer de leur stoicisme. Mettez vis—a-vis d’eux ces peuples généreux et {iers que dévorait l’ardent amour de la gloire et de la patrie. Supposez votre république chré- ‘ tienne vis-A-vis de Sparte ou de Rome : les chrétiens seront battus, écrasés, détruits avant d’avoir eu le temps de se reconnaitre, ou ne devront leur salut qu’au mépris que leur ennemi concevra pour eux. (1) Détache trap les hommes des soins terrestrcr, pour les attacker d ce qui s‘y d . P Modérément. (3) Concitoyens. (4) Sont brave:. (5) Ardent, adm infatigable et déterminé d vaincre on d mourir.