Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/373

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300 DU CONTRAT SOCIAL. tout le monde était intolérant ; dans ces pays, il ne tient qu’a la fortune que les victimes ne soient pas les bourreaux. Il faut penser comme moi pour étre sauvé. Voila le dogme (r) affreux é qui dévore la terre. Vous n’aurez jamais assez fait pour la paix publi- que si vous n’6tez de la cité ce dogme infernal. Quiconque ne le trouve pas exécrable ne peut étre ni chrétien, ni citoyen, ni homme : c’est un monstre qu’il faut immoler au repos du genre humain (a). Cette profession de foi une fois établie, qu’elle se renouvelle tous les ans avec solennité, et que cette solennité soit accompagnée d’un culte (2) auguste et simple dont les magistrats soient seuls les ministres et qui réchaufie dans les coeurs l’amour de la patrie. Voila tout ce qu’il est permis au souverain de prescrire quant a la religion. Qu’au surplus on laisse introduire toutes les opinions qui ne sont point contraires a la profession de foi civile, tous les cultes qui peuvent compatir avec le culte public, et qu’on ne craigne ni disputes de reli- gion ni guerres sacrées, — personne ne s’avisera de subtiliser sur les dogmes quand on aura si peu d‘intérét a les discuter. Nul apotre ou missionnaire (3) n’aura droit de venir taxer d’erreur une religion qui sert de base a toutes les religions du monde et qui n’en condamne aucune, et si quelqu’un vient précher son horrible intolerance, il sera puni sans disputer contre lui, comme séditieux et rebelle aux lois. Ainsi l’on réunira les avantages de la religion de l’homme et de celle du citoyen. L’Etat aura son culte et ne sera ennemi de celui d’aucun autre. Les lois divine et humaine, se réunissant toujours sur le méme objet, les plus pieux théistes seront aussi les plus zélés citoyens, et la défense des saintes lois sera la gloire du Dieu des hommes. ° Maintenant qu’il n’y a plus et qu’il ne peut plus y avoir de reli- gion nationale exclusive, on doit tolérer toutes celles qui tolerent les autres pourvu que leurs dogmes n’ayent rien de cohtraire aux devoirs du citoyen. Mais quiconque dit : hors de l’Eglise point de salut, doit étre chassé de l’Etat, a moins que l’I;iZtat ne soit l’Eglise. Le dogme (1) Négatif qu’il faut rejeter. Ld ou quiconque ne trouve pas ce dogme excécgable, les guerres de religion, les discorde: civiles, qui portent le fer et lefeu dans les Etats, qui arment les péres et les enfants les uns contre les autres. (2) Touclrant. (3) Tout apétre, tout missionnaire sera puni du dernier supplice, non comme un apdtre ou un missionnaire, mais comme un séditieux et un perturbateur de la société. Leeiioyen mauvais pour son pays, sa parrie, mourra pour sa religion. Quand ce ne serait point la meilleure police religieuse, elle est la seule (que le souverain puisse professer;_pour le reste, il ne peut aller plus loin san: usurper un droit qu’il n'a pas. (a) R. Emile, liv. IV. Le devoir de suivre et d’aimer la religion de son pays ne s'étend pas iusqu’aux dogmes contraires a Ia bonne morale, tel que cclui de Yintoleraucc. C'est ce dogme horrible qui arme les hommes les uns contre les autres et les rend tous ennemis du genre humain. La distinction entre la tolerance civile et la tolerance theo- logique est puerile et vaine. Ces deux intolérances sont inseparables et l’on ne peut ad- mettre l‘une sans l'autre. Des anges ne vivraient pas en paix avec des hommes qu‘ils regarderaient comme les ennemis dc Dieu. — I l