Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/390

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APPENDICE II. BI7 souveraine comme la source du bonhcur des hommes, osent nous la montrer comme le supplice des vaincus. Pour peu que l’on marche de conséquence en conséquence, l’er- reur du principe se fait sentir A chaque pas, et l’on voit partout que dans une aussi téméraire décision l’on n’a pas plus consulté la raison que la nature. Si je voulais approfondir la notion de l’état de guerre, je démontrerais aisément qu’il ne peut résulter que du libre consen- tcmcut des parties belligérantes; que si l’une veut attaquer, et que . l’autre ne veuille se défendre, il n’y a point d’état de guerre, mais seulement violence et agression; que, l’état de guerre étant établi par le libre consentement des parties,ce libre et mutuel consentement est aussi nécessaire pour rétablirla paix, et que, A moins que l’un des ad- versaires ne soit anéanti, la guerre ne peut iinir qu’A l’instant que tous deux en liberté déclarent qu’ils y renoncent. J ’ajoute qu’en vertu de la relation de maitre A esclave ils continuent, méme malgré eux, A étre toujours dans l’état de guerre. Je pourrais mettre en question les promesses arrachées par la force dans l’état de liberté et si toutes celles que le prisonnier fait A son maitre dans cet état peuvent signiiier autre chose que celle-ci : Je m’engage A vous obéir aussi longtemps qu’étant le plus fort vous n’attenterez pas A ma vie (a). · Il y a plus; qu’on me dise lesquels doivent l’emporter des engage- ments solennels et irrévocables pris avec la patrie en pleine liberté ou de ceux que l’efl`roi de la mort nous fera prendre avec l’ennemi vain- queur. Le prétendu droit d’esclavage auquel sont assujettis les pri- sonniers de guerre est sans bornes, les jurisconsultes le décident for- mellement: Il n’y a rien, dit Grotius; qu’on ne puisse impunément faire souifrir A de tels esclaves. Il n’est point d’action qu’on ne puisse leur commander et A laquelle on ne puisse les contraindre de quelque maniére que ce soit. Mais si, leur faisant grace de mille tourments, on se contente d’exiger qu’ils portent les armes contre leur pays, je demande lequel ils doivent remplir du serment qu’ils ont fait libre- ment A leur patrie ou de celui que l’ennemi vient d’arracher A leur faiblesse. Dés0béiront·ils A leur maitre, ou massacreront·ils leurs con- ‘ citoyens? Peut·étre osera-t-on dire que, l’état d’esclavage assujettissant les prisonniers A leur maitre, ils changent d’état A l’instant et que, devenant sujets de leur souverain, ils renoncent A leur ancienne patrie. Quand mille peuples auraient massacré leurs prisonniers, quand mille docteurs vendus A la tyrannie auraient excusé ces crimes (a) Voir Contra! social, liv. I, chap. xv (fn).