Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/422

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APPENDICE IV. 349 Connaissant si peu la nature, et s’accordant si mal sur le sens du mot loi, il serait bien diflicile de convenir d’une bonne definition de la loi naturelle. Aussi toutes celles qu’on trouve dans les livres, outre le défaut de n’étre point uniformes, ont-elles encore celui d’étre ti- rées de plusieurs connaissances que les hommes n’ont point nature]- lement, et des avantages dont ils ne peuvent concevoir l’idée qu’apres étre sortis de 1’etat de nature. On commence par rechercher les regles dont, pour l’utilité commune, il serait a propos que les hommes convinssent entre eux; et puis on donne le nom de loi naturelle a la collection de ces regles, sans autre preuve que le bien qu’on trouve qui résulterait de leur pratique universelle. Voila assurément une maniere tres commode de composer des definitions, et d’expliquer la nature des choses par des convenances arbitraires. Mais tant que nous ne connaitrons point l’homme naturel, c’est en vain que nous voudrons déterminer la loi qu’il a recue ou celle qui convient le mieux a sa constitution. Tout ce que nous pouvons voir tres clairement au sujet de cette loi, c’est que non seulement, pour qu’elle soit loi, il faut que la volonte de celui qu’elle oblige puisse s’y soumettre avec connaissance, mais qu’il faut encore, pour qu’elle soit naturelle, qu’elle parle `immédiatement par la voix de la nature. Laissant donc tous les livres scientifiques qui ne nous apprennent qu’a voir les hommes tels qu’ils sont faits, et méditant sur les pre- mieres et plus simples operations de l’ame humaine, j’y crois aper- cevoir deux principes antérieurs a la raison, dont l’un nous interesse ardemment a notre bien-etre et a la conservation de nous-memes, et l’autre nous inspire une répugnance naturelle a voir périr ou souf- frir tout etre sensible, et principalement nos semblables. [C’est du concours et de la combinaison que notre esprit est en état de faire de ces deux principes, sans qu’il soit nécessaire d’y faire entrer celui de la sociabilité, que me paraissent decouler toutes les regles du { droit naturel : regles que la raison est ensuite forcee de rétablir sur , d’autres fondements, quand, par ses développements successifs, elle est venue a bout d’étouH`er la nature. De cette maniere, on n’est point obligé de faire de l’homme un i philosophe avant que d’en faire un homme; ses devoirs envers autrui f ne lui sont pas uniquement dictés par les tardives legons de la sa- gesse; et tant qu’il ne résistera point a l’impulsion intérieure de la commiseration, il ne fera jamais de mal a un autre homme, ni meme e aucun etre sensible, excepté dans le cas légitime ou, sa conserva- tion se trouvant intéressee, il est obligé de se donner la préférence e I lui-meme. Par ce moyen, on termine aussi les anciennes disputes sur la participation des animaux a la loi naturelle : car il est clair que, dépourvus de lumiere, de 1iberté,ils ne peuvent reconnaitre 2 cette loi; mais, tenant en quelque chose a notre nature par la sensi- l bilité dont ils sont doués, on jugera qu’ils doivent aussi participer , 1