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Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/426

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APPENDICE IV. 353 faire l’éloge de tes premiers aieux, la critique de tes contemporains, et l’efl`roi de ceux qui auront le malheu°r de vivre avec toi... De la culture des terres s’ensuivit nécessairement leur partage, et, de la propriété une fois reconnue, les premieres regles de justice: car, pour rendre a chacun le sien, il faut que chacun puisse avoir quelque chose ; de plus, les hommes commencant a porter leurs vues dans l’avenir, et se voyant tous quelques biens at perdre, il n`y en avait aucun qui n’e1'lt acraindre pour soi la représaille des torts qu’il pouvait faire it autrui. Cette origine est d’autant plus naturelle qu’il est impossible de concevoir 1’idée de la propriété naissante d’ailleurs que de la main-d’0euvre ; car on ne voit pas ce que, pour s’approprier les choses qu’il n’a point faites, l’homme y peut mettre de plus que son travail. C’est le seul travail qui, donnant droit au cultivateur sur le produit de la terre qu’il a labourée, lui en donne par conséquent sur le fonds, au moins jusqu’a la récolte, et ainsi d`année en année; ce qui, faisant une possession continue, se transforme aisément en propriété. Lorsque les `anciens, dit Grotius, ont donné at Cérés l’épi- théte de législatrice, et a une féte célébrée en son honneur le nom de Thesmophorie, ils ont fait entendre par la que le partage des terres a produit une nouvelle sorte de droit, c’est-a·dire le droit de pro- priété, diiférent de celui qui résulte de la loi naturelle. Les choses en cet état eussent pu demeurer égales si les talents eussent été égaux, et que, par exemple, l’emploi du fer et la consoxn- mation des denrées eussent toujours fait une balance exacte: mais la proportion que rien ne maintenait fut bientot rompue; le plus fort faisait plus d’ouvrage ; le plus adroit tirait meilleur parti du sien; le plus ingénieux trouvait des moyens d’abréger le travail; le laboureur avait plus besoin de fer, ou le forgeron avait plus besoin de blé; et en travaillant également, l’un gagnait beaucoup, tandis que l’autre j avait peine a vivre. C’est ainsi que Pinégalité naturelle se déploie in- sensiblement avec celle de combinaison, et que les différences des J _ hommes, développées par celles des circonstances, se rendent plus ` sensibles, plus permanentes dans leurs effets, et commencent a in- ` fluer dans la méme proportion sur le sort des particuliers. Les choses étant parvenues a ce point, il est facile d’imaginer le reste. Je ne m’arréterai pas a décrire l’invention successive des autres arts, le progrés des langues, l’épreuve et l’emploi des talents, Pinégalité des fortunes, 1’usage ou l’abus des richesses, ni tous les détails qui suivent ceux-ci, et que chacun peut aisément suppléer. _ Je me ·bornerai seulement a jeter un coup d’oeil sur le genre humain placé dans ce nouvel ordre de choses. Voila donc toutes nos facultés développées, la mémoire et l’ima· gination en jeu, l’amour-propre intéressé, la raison rendue active, et . l’esprit arrivé presque au terme de la perfection dont il est susceptible. i 23 l ,! .:1 i