Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/449

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une pareille situation l’on ajoute vainement édits sur édits, réglements sur réglements : tout cela ne sert qu’à introduire d’autres abus sans corriger les premiers. Plus vous multipliez les lois, plus vous les rendez méprisables ; et tous les surveillants que vous instituez ne sont que de nouveaux infracteurs destinés a partager avec les anciens, ou a faire leur pillage a part. Bientot le prix de la vertu devient celui du brigandage : les hommes les plus vils sont les plus accrédités; plus ils sont grands, plus ils sont méprisables; leur infamie éclate dans leurs dignités, et ils sont déshonorés par leurs honneurs. S‘ils achétent les suffrages des chefs ou la protection des femmes, c’est pour vendre a leur tour la justice, le devoir et l’Etat; et le peuple, qui ne voit pas que ses vices sont la premiere cause de ses malheurs, murmure, et s’écrie en gémissant : << Tous mes maux ne viennent que de ceux que je paye pour m’en garantir. »

C’est alors qu’a la voix du devoir, qui ne parle plus dans ls cczurs, les chefs sont forcés de substituer le cri de la terreur ou le leurre d’un intérét apparent dont ils trompent leurs créatures. C’est alors qu’il faut recourir a toutes les petites et méprisables ruses qu’ils appellent maximes d’E`tat et mystéres du cabinet. Tout ce qui reste de vigueur au gouvernement est employé par ses membres a se perdre et supplanter l’un l’autre, tandis que les aifaires demeurent abandonnées, ou ne se font qu’a mesure que l’intérét personnel le demande et selon qu’il les dirige. Entin t0ut€ l’habileté de ces grands poli- tiques est de fasciner tellement les yeux de ceux dont ils ont besoin, que chacun croie travailler pour son intérét en travaillant pour le p leur; je dis le leur, si tant est qu’en effet le veritable intérét des chefs soit d’anéantir les peuples pourles soumettre, et de ruiner leur propre bien pour s’en assurer la possession.

Mais quand les citoyens aiment leur devoir, et que les dépositaires de l’autorité publique s’appliquent sincérement a nourrir cet amour par leur exemple et par leurs soins, toutes les difficultés s`éva— nouissent;’l’administration prend une facilité qui la dispense de cet art ténébreux dont la noirceur fait tout le mystere. Ces esprits vastes, si dangereux et si admirés, tous ces grands ministres dont la gloire se confond avec les malheurs du peuple, ne sont plus regrettés : les mmurs publiques suppléent au génie des chefs ; et plus la vertu régne, moins les talents sont nécessaires. L’ambition méme est mieux servie par le devoir que par l’usurpation : le peuple, convaincu que ses chefs ne travaillent qu’a faire son bonheur, les dispense par sa déference de travailler a aflermir leur pouvoir; et l’histoire nous montre en mille endroits que l’autorité qu’il accorde a ceux qu’il aime et dont il est aimé est cent fois plus absolue que toute la tyrannie des usurpateurs. Ceci ne signifie pas que le gouvernement doive craindre d’user de son pouvoir, mais qu’il n’en doit user que d’une maniére légitime. On trouvera dans 1’histoire mille exemples de chefs ambi-