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Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/450

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APPENDICE V. 377 tieux ou pusillanimes que la mollesse ou l’orgueil ont perdus; aucun qui se soit mal trouvé de n’étre qu’équitable. Mais on ne doit pas confondre la négligence avec la modération, ni la douceur avec la faiblesse. Il faut étre sévére pour étre juste. Soufirir la méchanceté qu’ona le droit et le pouvoir de réprimer, c’est étre méchant soi-méme. Sicuti enim est aliquando misericordia puniens, im est crudelitas par- cens. (Aug., ep. uv.) Ce n’est pas assez de dire aux citoyens : a Soyez bons; » il faut leur apprendre it l’étre; et l’exemple méme, qui est a cet égard la pre- miére legon, n’est pas le seul moyen qu’il faille employer : l’amour de la patrie est le plus efiicace; car, comme je 1’ai déja dit, tout homme est vertueux quand sa volonté particuliére est conforme en tout it la volonté générale, et nous voulons volontiers ce que veulent _ les gens que nous aimons. Il semble que le sentiment de l’bumanité s’évapore et s’aHaiblisse en s’étendant sur toute la terre, et que nous ne saurions étre touchés des calamités de la Tartarie ou du Japon, comme de celles d’un peu- . ple européen. Il faut en quelque maniére borner et comprimer1’inté- rét et la commisération pour lui donner de l’activité. Or, comme ce penchant en nous ne peut étre utile qu’a ceux avec qui nous avons a vivre, il est bon que l’humanité, concentrée entre les concitoyens, prenne en eux une nouvelle force par l’habitude de se voir et par 1’intérét commun qui les réunit. Il est certain que les plus grands prodiges de vertu ont été produits par l’amour de la patrie : ce senti- ment doux et vif, qui joint la force de l’amour-propre a toute la beauté de la vcrtu, lui donne une énergie qui, sans la déiigurer, en fait la plus héroique de toutes les passions. C’est lui qui produisit tant d’actions immortelles dont 1’éclat éblouit nos faibles yeux, et tant de grands hommes dont les antiques vertus passent pour des fa- bles depuis que l’amour de la patrie est tourné en dérision. Ne nous en étonnons pas; les transports des coeurs tendres paraissent autant de chimeres a quiconque ne les a point sentis; et l’amour de la patrie, plus vif et plus délicieux cent fois que celui d’une maitresse, ne se concoit de méme qu’en l’éprouvant : mais il est aisé de remarquer dans tous les ccrzurs qu’il échaufle, dans toutes les actions qu`il in- spire, cette ardeur bouillante et sublime dont ne brille pas la plus pure vertu quand elle en est séparée Osons opposer Socrate méme a Caton : l’un était plus philosophe, et l’autre plus citoyen. Athénes était déja perdue, et Socrate n’avait plus de patrie que le monde entier : Caton porta toujours la sienne au fond de son coeur; il ne vi- vait que pour elle et ne put lui survivre. La vertu de Socrate est celle du plus sage des hommes; mais entre César et Pompée, Caton sem- ble un dieu parmi les mortels. L’un instruit quelques particuliers, combat les sophistes, et meurt pour la vérité : l’autre défend l’Etat, la liberté, les lois, contre les conquérants du monde, et quitte eniin