Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/495

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la même instabilité que dans les volontés particulières des individus, et partant du principe qu’il est de l’essence de la volonté des nations, comme de celle des particuliers, de ne pouvoir se gêner elle-même, qu’elle est également mobile et indestructible, il ne voit toutes les formes de gouvernement que comme des formes provisionnelles, comme des essais qu’on peut toujours varier ; ce n’est pas chez lui un y principe métaphysique dont il serait trop rigoureux peut-être de lui imputer les conséquences ; c’est selon lui la base de tous les gouvernements. Il ne connaît point d’autre moyen d’en prévenir les usurpations que de fixer des assemblées périodiques pendant lesquelles le gouvernement est suspendu et où, sans qu’il soit besoin de convocation formelle, on discute séparément et à la pluralité des suffrages si l’on conservera la forme du gouvernement reçu et les magistrats établis.

Ces assemblées périodiques, expressément proscrites par nos lois et qui rendent la liberté plus accablante que la servitude même, ne peuvent en être regardées que comme le délire ; mais cette liberté extrême est la divinité de l’auteur, c’est à cet objet qu’il immole les principes les plus sacrés et, trouvant dans l’Évangile des préceptes qui gênent cette funeste indépendance, une république chrétienne n’est à ses yeux qu’une contradiction dans les termes, la religion, qu’un appui pour la tyrannie et les chrétiens que des hommes faits pour ramper dans le plus vil esclavage.

S’il n’y avait dans Émile, c’est-à-dire dans le Traité de l’Éducation, que ces maximes outrées qui y sont éparses, ce morceau ne devrait être regardé que comme un rêve philosophique d’autant moins dangereux qu’il est plus singulier et qu’on y rencontre aussi des conseils très sages ; mais on y trouve des peintures licencieuses d’autant plus séduisantes qu’elles sont plus finies et plus animées, une satire indécente de la religion du pays où il fut accueilli ; des traits insultants contre une nation puissante et respectable, dont il n’a encore éprouvé que la patience et la bonté. Ces excès ne sont que des degrés à de plus grands excès ; la religion révélée, objet capital de l’éducation, devient chez lui l’objet de la discussion la plus téméraire ; il lève d’une main hardie le voile de ses mystères ; il en mesure les dogmes à ses idées particulières, il n’en sape pas les fondements, il s’efforce tout ouvertement de les renverser ; il voudrait en arracher les plus fermes appuis, les prophéties et les miracles, et s’il paraît étonné de la sublimité de sa morale et de la majesté de son auteur, il déclare n’être pas moins confondu par les difficultés qui lui paraissent environner le système évangélique et il ne trouve de certain que l’impossibilité d’être obligé de s’y soumettre.

La plus sévère animadversion de la justice paraît à peine suffire contre l’auteur de deux ouvrages où la religion et le gouvernement ne furent jamais plus directement attaqués et auxquels il met auda-