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XI

LE CONTRAT SOCIAL CONDAMNÉ À GENÈVE


Conclusions de M. le procureur général Henri-Robert Tronchin, sur le Contrat social et l’Émile de Rousseau.

Magnifiques et Trés-honorés seigneurs, les devoirs de mon ministère m’obligent de déférer à vos seigneuries deux livres intitulés : le premier du Contrat social, etc.

Les précautions prises par vos seigneuries pour arrêter la distribution de ces deux ouvrages, au moment même où ils ont été annoncés, ne m’ont pas permis de les examiner en détail, mais le coup d’œil le plus rapide ne découvre que trop la nécessité d’en flétrir sans retard les principes et de prémunir le public contre des poisons d’autant plus dangereux qu’ils sont plus habilement préparés.

On trouve dans ces deux livres, qui étincellent d’audace et de génie, des vérités sublimes et des erreurs pernicieuses, l’anarchie et la liberté confondues, le chaos de l’état de nature porté dans le système des sociétés civiles, la cognée mise, si je l’ose dire, à la racine de tous les gouvernements ; la morale la plus pure et le scepticisme le plus décidé sur les objets de la foi ; le christianisme exalté et insulté tour à tour ; les principes de la religion naturelle annoncés avec une lumière et une énergie majestueuses, mais scandaleusement établis sur les ruines de la religion révélée.

Dans le Contrat social, l’auteur, après avoir fait dériver l’autorité des gouvernements des sources les plus pures, après avoir heureusement développé les avantages immenses de l’état civil sur l’état de nature, ramène bientôt tous les désordres de cet état primitif ; les lois constitutives de tout gouvernement lui paraissent toujours révocables, il n’aperçoit aucun engagement réciproque entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés ; les premiers ne lui paraissent que des instruments que les peuples peuvent toujours changer ou briser à leur gré. Il suppose dans les volontés générales des peuples