Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

teur, je ne perdrais pas mon temps à dire ce qu’il faut faire ; je le ferais, ou je me tairais[1].

Né citoyen d’un État libre, et membre du souverain, quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire : heureux, toutes les fois que je médite sur les gouvernements, de trouver toujours dans mes recherches de nouvelles raisons d’aimer celui de mon pays[2] !


CHAPITRE PREMIER
SUJET DE CE PREMIER LIVRE

L’homme est né libre, et partout il est dans les fers[3]. Tel se croit le maître des autres, qui ne laisse pas d’être plus esclave qu’eux[4]. Comment ce changement s’est-il fait ? Je

  1. Frédéric II, Anti-Machiavel (Avant-propos). — J’ose prendre la défense de l’humanité contre le monstre qui veut la détruire ; j’ose opposer la raison et la justice au sophisme et au crime et i’ai hasardé mes réflexions sur le Prince de Machiavel, chapitre à chapitre, afin que l’antidote se trouve immédiatement auprès du poison.
  2. R. Économie politique. — Pour exposer ici le système économique d’un bon gouvernement, j’ai souvent tourné les yeux vers celui de cette République (Genève), heureux de trouver ainsi dans ma patrie l’exemple de la sagesse et du bonheur que je voudrais voir régner dans tous les pays !
  3. Frédéric II, Anti-Machiavel, chap. ix. — La liberté est un bien qu’on apporte en naissant.
  4. R. Émile, liv. Il. — Ta liberté, ton pouvoir, ne s’étendent qu’aussi loin que tes forces naturelles, et pas au delà ; tout le reste n’est qu’esclavage, illusion, prestige. La domination même est servile, quand elle tient à l’opinion ; car tu dépends des préjuges de ceux que tu gouvernes par les préjugés. Pour les conduire comme il te plait, il faut te conduire comme il leur plait. Ils n’ont qu’a changer de manière de penser, il faudra bien par force que tu changes de manière d’agir. Ceux qui t’approchent n’ont qu’à savoir gouverner les opinions du peuple que tu crois gouverner, ou des favoris qui te gouvernent, ou celles de ta famille, ou les tiennes propres : ces visirs, ces courtisans, ces prêtres, ces soldats, ces valets, ces caillettes, et jusqu’à des enfants, quand tu serais un Thémistocle en génie, vont te mener comme un enfant toi-même au milieu de tes légions. Tu as beau faire, jamais ton autorité réelle n’ira plus loin que tes facultés réelles. Sitôt qu’il faut voir par les yeux des autres, il faut vouloir par leurs volontés. Mes peuples sont mes sujets, dis-tu fièrement. Soit. Mais toi, qu’es-tu ? le sujet de tes ministres. Et tes ministres, a leur tour, que sont-ils ? les sujets