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66 , Histoire critique de la rédaction des confessions

qui comjjrometlaient des familles entières. Mme d’Epinav s’adressa même à la police, afin que les terribles lectures des Confessions fussent défendues; mais, pour éviter le scandale public, elle le fit avec la ruse d’une femme. sAprès y avoir réfléchi, écrivait- elle au lieutenant de police de Sartine, je pense qu’il faut que vous parliez à lui-même (à Rousseau) avec assez de bonté pour qu’il ne jiuisse s’en plaindre, mais avec asscï de fermeté cependant pour qu’il n’y retourne pas. Si vous lui faites donner sa parole, je crois qu’il la tiendra. Pardon mille fois, mais il y va de mon repos, et c’est le repos de quelqu’un que vous honorez de votre estime et de votre amitié, et qui, quoi qu’en dise Jean-Jacques, se flatte de la mériter.* (155)

Ce fut tout. Rousseau voulait provoquer la foule de ses ennemis à s’élever ouvertement contre lui et à lui rompre publiquement en visière. Quel fut le résultat? Cette femme, qui vivait dans l’intimité de Grimm, qui avait gagné l’amitié de Diderot et qui était devenue enfin le centre de la clique d’Holbach, se lia clandestinement avec la police. Cependant ce ne fut pas la seule et la plus douloureuse désillusion de Rousseau.

En communiquant ses Confessions à des sociétés entières et à des individus, Rousseu avait cherché du secours ïpour découvrir et déconcerter la grand conspiration de ses ennemis* ; il ne trouva partout que l’indifférence et même la perfidie. Ces lectures à peine terminées, Rousseau s’aperçut qu’il les avait "prodiguées aux oreilles les moins faites pour les entendrez et qu’ils les avait ’pro- fanéesa. Ses auditeurs »n’y cherchaient rien, n’y trouvaient rien qu’une lecture agréable et rapide* et ils restaient indifférents «pour l’intérêt de la justice et de la vérité.i (156). Rousseau a décrit lui-même l’eflet que produisit sa première lecture sur la société, aristocratique du comte d’Egmont. sToui le monde se tut, dit-il. Mad. d’Egmont fut la seule qui me parut émue : elle tressaillit visiblement, mais elle se remit bien vite, et garda le silence ainsi que toute la compagnie. Tel fut le fruit que je tirai de cette lecture et de ma déclarations (c’est à dire de l’épilogue). (157) Rousseau récolta des fruits plus mauvais encore dans les autres classes de la société. Des hommes de lettres remarque-til lui-même, à qui il avait »permis de prendre note de tout ce qu’ils voulaient retenir*, ne prirent point note des passages favorables et ne manquèrent pas de consigner avec soin tous ceux où la vérité forçait l’auteur à s’accuser et à se charger lui-même, « (158) Ces gens en tirèrent parti pour

C’SS) Dm»""!*) Ot mes rapports, etc. — Mémoires île Mad, dEpinay etc. par M. Paul BÔiteau II. 491. Voyez encore: Oeuvres eouipl. Corresp. Rousseau à M. de Sartine le 15 janvier 177Z. -XII. Z42.

(156) Oeuvres compl. Rousseau Juge de Jean-Jacques. Dialogues. IX. 134. 235. Préface jo6.

(157) Ibid. Conf, IX. 82.

(158} Oeuvres tampl. Rousseau juge etc. IX. 183.